L’arrivée soudaine du printemps ? la promesse d’une trêve pandémique et l’assouplissement des gestes barrières ? Ou, la recherche d’un antidote au fracas des bombes en Ukraine ? Inutile de chercher les raisons de notre irrépressible besoin de légèreté. C’est sans hésitation qu’en ce moment l’on échange une représentation de Là-Haut jusqu’au 31 mars à L’Athénée contre deux de Wozzeck à La Bastille.
A La fin de la première guerre mondiale, survient une nouvelle forme d’opérette. « Toute la fadasserie sentimentale qui fait l’ignominie du genre a disparu » se réjouit l’écrivain et critique Henri Bidou. Les années sont folles. Maurice Yvain s’engouffre dans la brèche ouverte par Christiné avec Phi-Phi puis Dédé. Le public parisien succombe à l’apparente facilité de mélodies joliment troussées sur des rythmes à la mode : fox-trot, one-step, java, tango, shimmy… Les lyrics drolatiques d’Albert Willemetz pallient l’apparente simplicité de l’écriture musicale. « Un final d’Yvain, c’est ficelé comme un final d’Haydn », écrit Arthur Honegger, « ce petit musicien est un maître ». Les livrets rivalisent de fantaisie. Là-haut raconte l’histoire de feu Evariste Chanterelle qui du paradis voit sa veuve, Emma, courtisée par son cousin Martel. Avec l’aide de Frisotin, l’ange gardien d’Emma, le mari jaloux n’aura de cesse de défendre son honneur et de reconquérir le cœur de sa femme.
© Les frivolités parisiennes
Sur ce canevas farfelu, qui aujourd’hui mieux que les Frivolités Parisiennes, dont ce répertoire est la raison d’être, pour concocter un spectacle dont on ressort le cœur en fête et les chansons à fleur de lèvres. La mise en scène de Pascal Neyron prend quelques libertés avec l’œuvre et avec l’époque, sans que cette actualisation n’apparaisse artificielle. Un tableau est ajouté en préambule ; certains numéros sont inversés mais avec l’aide de Christophe Mirambeau, l’esprit musical de la partition est préservé. Deux trompettes, deux cors , trois trombones : la fosse swingue ! La direction alerte de Nicolas Chesneau ne souffre d’aucun des décalages que pourrait engendrer une rythmique implacable.
Sur scène, tous les artistes s’en donnent à cœur joie dans un exercice qui sollicite autant le chant que la parole. Le mouvement est naturel ; les dialogues tombent juste ; les voix disposent d’une technique solide qui autoriserait la plupart d’entre elles à envisager des rôles plus exigeants. Comme lors de la création où Dranem, l’interprète de Frisotin, sut gagner les faveurs du public au point d’indisposer Maurice Chevalier, l’applaudimètre consacre Richard Delestre. Son numéro d’improvisation est d’anthologie. En Evariste, Mathieu Dubroca ne fait qu’une bouchée des deux tubes de la partition « Là-haut » et « C’est Paris ». Jean-Baptiste Dumora est un Saint-Pierre bougonnant à plaisir, Judith Fa une Emma affriolante…
Il y a cependant un « mais » pénalisant dans ce répertoire : la diction confuse de ces dames rend la lecture des surtitres obligatoire si l’on veut ne pas perdre une miette des innombrables jeux de mots imaginés par Albert Willemetz. Voilà qui nous prive d’un petit coin de ce gai paradis.