Le karaoké est né à Paris en 1710 ; le saviez-vous ? A la demande de l’Opéra-Comique, qui fétait récemment son tricentenaire, la joyeuse Clique des Lunaisiens a créé un spectacle retraçant la naissance du genre, repris cette saison par Angers-Nantes Opéra.
Nous sommes au début du XVIIIe siècle. La foire Saint Germain en hiver, la foire Saint Laurent en été permettent pendant quelques semaines de contourner la politique de monopole du théâtre instaurée par Louis XIV. Peinant à remplir sa salle en raison d’un style désuet qui ne plait plus, la Comédie Française avait multiplié les procès contre les théâtres de foire obtenant successivement l’interdiction des dialogues, puis la prohibition stricte de tout texte parlé voir la présence acteurs sur scène ! Qu’à cela ne tienne, les comédiens de foire s’essaient à la pantomime, à l’art de la marionnette ou encore au chant. Las… L’Opera de Paris, à cours d’argent, exige une redevance contre le droit à vocaliser hors de ses murs. Peu importe, les forains écrivent alors les textes sur des écriteaux et font ainsi chanter les spectateurs sur un air connu. Lorsqu’enfin une compagnie a l’argent nécessaire pour payer la redevance, nait l’opéra-comique où l’on chante tandis que l’action avance via des passages parlés.
Sandrine Buendia (Colombine) et Bruno Coulon (Arlequin) © Jef Rabillon /Angers Nantes Opéra
Pour ce voyage au cœur de l’histoire du théâtre chanté, l’argument de La Matrone d’Ephèse de Fuzelier sert de prétexte à explorer les aléas traversés par les forains jusqu’à l’épanouissement d’un nouveau genre. La matrone en question est une Ariane à Naxos de fantaisie : veuve éplorée, elle souhaite rejoindre son époux dans la tombe avant de retrouver goût à la vie dans les bras d’Arlequin avec l’aide de Colombine et de son fiancé Pierrot.
L’Opéra et la Comédie Française sont personnifiées et viennent interrompre la représentation qui doit sans cesse rebondir sur de nouveaux ressorts en raison des interdits successifs imposés par les institutions. Le comique de ces interventions outrancières est pleinement exploité et le public rit de bon cœur aux contorsions prétentieuses de Sandrine Buendia et Jean-Philippe Desrousseaux. La soprano incarne également Colombine avec beaucoup de grâce. Sa voix fraiche est très joliment timbrée dans le médium et les aigus mais manque toutefois de graves. Le comédien, quant à lui, s’est arrogé le privilège de passer du rôle de marionnettiste à celui de ce fat personnage parodiant Racine avec emphase. Voilà qui est manifestement jubilatoire et réalisé avec grand talent. Spécialiste de la période, c’est lui qui a conçu le spectacle et réalisé la mise en scène. Il a également formé Bruno Coulon à l’art de la marionnette, permettant au jeune comédien d’étoffer son incarnation d’Arlequin enjouée et naturelle.
Complétant la distribution, Arnaud Marzorati – qui dirige la Clique des Lunaisiens – campe un Pierrot lunaire à souhait, que l’on regrette de ne pas plus entendre chanter, tandis que Jean-François Lombard, haute-contre travesti, offre une version fort drôle de ce cette matrone empêtrée dans ses voiles de veuve comme dans ses principes. La voix manque un peu de largeur, mais le placement est bon et la diction excellente.
Le propos pédagogique du spectacle est très clair, mais sur un mode léger et potache, comme lorsque la Comédie Française ôte littéralement le pain de la bouche des comédiens. Le rythme est heureusement soutenu, évitant ainsi la lassitude du spectateur. Le format en est court, ce qui est heureux car la musique choisie est agréable sans être éblouissante même si fort bien interprétée par quatre instrumentistes très à leur affaire. C’est peut-être ce que l’on peut regretter : toute l’originalité du spectacle réside en ce qu’il décode l’histoire du théâtre en en servant des morceaux choisis. Ces derniers gagneraient être moins aisément oubliables. Ils convoquent pourtant Marais, Mouret, Rameau, Clérambault, Grandval ou encore Corette. Ceci dit, tout cela est bien monté, bien pensé et les costumes d’époque tout comme le superbe décor sorti des réserves du théâtre de la Reine à Versailles ou encore les lumières dorées imitant les bougies de François-Xavier Guinnepain, nous plongent dans un tableau de Watteau ajoutant un joli brin de poésie à cette farce de tréteaux.