Cabale ou scandale, la première de cette production du bicentenaire de la création de La gazza ladra avait été mouvementée (voir brève du 13 avril dernier). Dix jours plus tard, le public accueille avec chaleur les interprètes aux saluts. On cherche en vain ce qui put exciter ainsi quelques malappris… à moins qu’ils ne se fussent emportés contre les excès de tiédeur de ce spectacle.
Sur le plateau, l’équipe de chanteurs est homogène. Serena Malfi (Pippo) et Rosa Feola (Ninetta) s’appliquent à rendre justice à l’écriture rossinienne mais pâtissent toutes deux d’un volume limité. La mezzo-soprano, en particulier, peine à surnager en première partie où bien souvent la voix se fond dans la masse du Chœur de la Scala, pourtant peu impliqué toute la soirée. Le deuxième acte lui sied davantage et le duo avec Ninetta mariera enfin les timbres délicats des deux interprètes. La soprano brille surtout dans l’aigu alors que l’écriture du rôle le sollicite assez peu. Cela ne gâche pas la prestation mais ne la rend pas mémorable non plus. Teresa Iervolino interprète une Lucia de caractère, utilisa, le grain d’airain de sa voix pour l’adapter au personnage. Chez les hommes, Alex Esposito (Fernando) et dans une moindre mesure Michele Pertusi (Podestat) se détachent de leurs confrères. Le premier par une belle endurance alliée à un art de colorer au service du personnage du père persécuté. Le second parce qu’il s’efforce de rendre crédible son méchant, même s’il faut parfois bafouer le pur belcanto pour se faire. Edgardo Rocha (Gianetto) est lui plus scolaire et peu imaginatifs dans ses variations ; Paolo Bordogna sobre dans le rôle de Fabrizio.
Tiédeur aussi dans la fosse où Riccardo Chailly n’a pas la main aussi leste que la Pie de l’opéra. Si l’on retrouve ses nombreuses qualités – l’orchestre fourmille de détails et de rigueurs contrapuntiques, les pupitres chatoient de belles couleurs – le tout s’endort dans des tempi empesés et des nuances qui n’oscillent guère qu’autour d’un mezzo forte monochrome.
C’est finalement la mise-en-scène qui suscite le plus d’intérêt. Gabriele Salvatores s’amuse à montrer les fils de l’intrigue. Un spectacle de marionnette récapitule l’action pendant l’ouverture avant que la Pie (Francesca Alberti, fascinante acrobate) n’entre en scène et ne saisissent elle-même les fils/cordes. Pendant trois heures, elle sera à la fois l’espiègle qui confond la pauvre Nanetta, un metteur en scène qui fait entrer les personnages au bon moment et un deus ex-machina. En somme, le cinéaste lui confrère les attributs d’une déesse antique, celle qui préside au destinée. En parallèle, il rend un double hommage et à la Scala (les marionnettistes sont habillés des tuniques et sautoirs des ouvreurs du théâtre) et au cinéma, jusque dans un costume de vampire. Tout son décor évoque furieusement un studio de cinéma hollywoodien, avec ces décors qu’on déplace et ces cordes qui pendent. Une manière poétique, légère et distanciée de redonner vie à La Gazza ladra, deux siècles presque jour pour jour après sa création.