« Quel bonheur de voir des jeunes musiciens aimer si fort la musique de Berlioz » s’enthousiasme Francois-Xavier Roth à l’issue du concert de clôture du 21e Festival Berlioz alors que le public, conquis, n’en finit pas d’applaudir. Il est vrai que la ferveur avec laquelle le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz interprète une partition aussi exigeante que La Damnation de Faust rachète les approximations relevées çà et là durant la soirée. L’ensemble, fondé en 2009, fait partie des initiatives à porter au crédit du festival. À l’issue d’un stage intensif consacré à l’interprétation des œuvres du compositeur sur instruments d’époque, de jeunes musiciens, formés et encadrés par leurs aînés de l’Orchestre des Siècles, ont ainsi l’opportunité d’initier leur carrière sous les meilleurs auspices.
La baguette experte de François-Xavier Roth les guide dans ce parcours semé d’embûches – on connaît la science d’orchestrateur de Berlioz. Les cuivres hésitent, voire trébuchent, et certains passages, sans doute moins travaillés, s’avèrent laborieux mais le chef maintient le cap. Dès la Marche hongroise, la maille orchestrale se resserre, le discours musical prend forme avec une maîtrise du volume digne des meilleures formations, de l’éclat fracassant du Pandæmonium à un Ballet des Sylphes rêveur, joué sur la pointe des doigts. Sollicité d’un bout à l’autre de la partition, le chœur, formé de deux ensembles vocaux qui amènent le nombre de choristes au-delà du minimum de soixante souhaité par Berlioz, participe à l’architecture sonore. Le masculin l’emporte sur le féminin en termes d’effectif comme de cohésion et de dynamique. Ainsi, on aurait aimé la lumière de l’épilogue plus douce mais la scène de la taverne, avec son Amen savamment fugué, ne souffre d’aucun décalage et les soldats marchent vers la ville en rang serré.
© Delphine Warin pour le Festival Berlioz
Jean-Marc Salzmann attaque trop tôt et trop vite sa chanson du rat. Pourquoi d’ailleurs avoir voulu Brander baryton ? Pour compenser le déséquilibre induit par un Méphistophélès plus grave que ne le l’exige la cartographie vocale de l’œuvre ? Dans ce rôle, Nicolas Courjal allège la voix afin de ne pas noircir le portrait outre-mesure. Le diable est croqué avec une gourmandise parfois proche de l’affectation. Le portrait, subtil et flatté par un français irréprochable, devrait avec le temps gagner encore en naturel.
Il n’est pas besoin de rappeler les affinités d’Anna Caterina Antonacci avec la musique de Berlioz. Cette voix à la nature ambigüe – soprano ou mezzo ? – se complaît dans une tessiture qui ne l’est pas moins, naviguant d’un extrême à l’autre sans laisser apparaître la moindre tension. Les couleurs automnales, l’interprétation, amère comme si, dès une chanson de Thulé étouffante, Marguerite pressentait sa chute, sont admirables.
Michael Spyres enfin doit composer avec un rhume et un agenda qui l’a vu en moins d’un mois enchaîner les performances, d’Aureliano in Palmira à Pesaro à la Missa Solemnis de Beethoven il y a quelques jours à Londres. Au fur et à mesure de la soirée, la voix s’amenuise et la fatigue devient perceptible. Le duo d’amour met le falsetto à rude épreuve. Le repos accordé par la romance de Marguerite n’est pas de trop pour que l’Invocation à la nature puisse peu à peu enfler et déverser son trop-plein de désespoir. La limite des forces reste perceptible mais quelle diction, quels accents et plus encore quelle intelligence du texte ! Même lorsque le ténor ne chante pas, il semble vivre intimement chaque note de la partition. Les yeux se ferment, le sourcil se soulève en mesure, la tête balance, le corps s’affaisse ou au contraire se dresse, exalté. Tout dans l’attitude exprime alors, de cet amour pour la musique de Berlioz que soulignait Francois-Xavier Roth, l’ardente flamme.