Œuvre puissamment romantique, La Damnation de Faust a suscité l’intérêt de bien des metteurs en scène, bien que l’œuvre ne soit pas vraiment un opéra. Parmi eux, seul Robert Lepage semble avoir offert une vision convaincante tandis que Kokkos ou Ronconi par exemple n’offraient qu’un livre d’images, belles mais assez creuses chez le premier, grotesques sinon franchement ridicules chez le deuxième.
C’est donc avec grand intérêt que l’on se rend à Frankfurt pour voir la mise en scène de Harry Kupfer à qui l’on doit des spectacles emblématiques, dont un prodigieux Vaisseau Fantôme à Bayreuth dans les années 1980 (avec Estes-Baslev-Salminen). Force est de constater que la déception est à la mesure de l’incompréhension qui nous saisit face à une vision fouillée et riche, trop riche sans doute au point de devenir confuse et absconse.
Le décor, unique, représente une loge d’opéra qu’encadrent des échafaudages métalliques derrière lesquels de nombreuses projections viennent varier les atmosphères. Ce décor est parfois caché par un rideau représentant… des échafaudages (devant lesquels Faust chante « Nature immense » !…) ou par une immense toile clairement inspirée de Bosch. Les costumes sont également des plus curieux. Cela va du glauque (les uniformes militaires tout en cuir noir) au kitch (les boas aux couleurs flashy, Méphisto tout en argenté) en passant par l’incongru (les clients de la taverne masqués, les étudiants affublés de long nez…). Et puis, cela n’est pas très beau.
Il serait long et fastidieux de décrire tout ce qui se passe sur scène d’autant plus que l’on a du mal à saisir les tenants et les aboutissants : le défilé militaire devant la loge d’opéra où trône je ne sais qui, l’énorme tombeau amené à l’avant-scène, Méphisto tenant Faust en laisse, la loge d’opéra explosant à la fin… Tout cela dénote en tout cas une ambiance décadente que seules viennent contrecarrer les maquettes d’une église de village et de petites maisons dont l’une sert de « refuge » pour Marguerite. C’est l’un des rares moments de poésie dans cette vision bien sombre et glauque.
Autre particularité, un épilogue des plus curieux : sur la (sublime) musique du chœur « céleste » (qui accompagne l’apothéose de Marguerite), on retrouve Faust vieux et barbu (alors qu’il a été englouti dans les enfers le tableau précédent), réaliser que la musique qu’il entend provient d’un phonographe caché derrière un paravent : tout cela n’aurait-il été qu’un rêve ? Mais pourquoi alors, voit-on Faust gagner l’avant-scène en se débarrassant de sa barbe et finir comme « victorieux », fermant lui-même le rideau… ? L’image est certes belle, sinon saisissante, mais le sens nous en a échappé… En tout cas, point de damnation pour cet étrange Faust qui semble au contraire ressusciter…
Sans doute une deuxième vision aiderait à comprendre ce qu’a voulu dire Harry Kupfer avec cette œuvre fascinante. Il n’en reste pas moins que la mise en scène est pensée, construite avec rigueur et qu’elle est en accord avec le romantisme débridé de la partition. C’est simplement que nous n’en avons pas trouvé la clef…
Œuvre puissamment romantique disions-nous plus haut et dont la démesure doit tant venir de la scène que de la fosse. Or, de démesure, nous n’en avons guère eue avec une direction d’un Friedemann Layer assez sage. Tout est parfaitement en place mais justement, un peu trop « propre » et lisse, parfois un poil pesant également. Manquent l’entrain, la folie, sinon l’outrance de Berlioz. Par ailleurs, le superbe Orchestre de l’Opéra de Frankfurt affiche une sonorité très ronde, policée, assez sourde, mais qui ne convient qu’imparfaitement à la clarté que réclame cette musique.
Du quatuor de chanteurs, c’est le fantastique Simon Bailey qui domine avec une voix claire et franche, un excellent français et une projection impeccable. Il campe un Méphisto démoniaque à souhait, mais aussi gouailleur voir comique. Une très belle réussite. Le Faust de Russell Thomas séduit par son timbre, des aigus assez crânement assurés, un chant élégant mais il pêche par une incarnation très placide et par une présence scénique assez atone… Claudia Mahnke campe une ardente Marguerite et offre une superbe ligne de chant dans ses deux airs. Hélas, le français est peu compréhensible… C’est également le défaut d’un Dietrich Volle à la voix usée et par ailleurs tout à fait transparent en un Brander aussitôt oublié le tableau de la taverne terminé (le chanteur ne vient d’ailleurs même pas saluer au rideau final). Curieusement, les chœurs manquent singulièrement d’impact malgré une excellente tenue.
Bilan mitigé donc pour une production intrigante qui mériterait sans doute d’être approfondie par une deuxième représentation.