Parmi toutes les institutions lyriques aujourd’hui, l’Opéra royal de Wallonie se veut la plus respectueuse d’une certaine tradition. Dramaturges iconoclastes, metteurs en scène avant-gardistes et autres profanateurs, passez votre chemin. Sur cette scène presque bicentenaire, on pratique la représentation d’opéras avec un conformisme réconfortant, tant en termes de répertoire que de mise en scène. C’est dans cette optique que La Cenerentola ouvre une nouvelle saison dont un des temps forts sera Luisa Miller, en novembre avec Patrizia Ciofi et Gregory Kunde. De carton-pâte, les décors figurent les lieux d’une action que l’on peut suivre à la virgule près. Ils ont été judicieusement placés sur un carrousel qui favorise les changements de tableaux à vue. Ni transposition, ni interprétation freudienne, la magie reste le ressort du conte de fée. Le grimoire brandi comme un talisman en début d’opéra l’atteste. Un régiment de lutins à la solde d’Alidoro tire les ficelles de l’intrigue. La musique dicte le mouvement. Est-elle toujours la meilleure conseillère lorsque, dans les ensembles, elle plante les chanteurs sur l’avant-scène, comme au bon vieux temps ? Les costumes s’autorisent plus de fantaisie. Clorinda a les cheveux violets et les deux excroissances de la perruque de Don Magnifico lui font des oreilles rousses de Mickey. Quelques gags saupoudrent la représentation. Un baudet ivre, celui entrevu en rêve dans la cavatine « Miei rampolli femminini », revient ponctuer l’action dès qu’elle s’emballe. Cecile Roussat et Julien Lubek sont les artisans de cette production. Ils en signent chaque détail, de la mise en scène aux lumières. Les rires du public récompensent leur travail. Sacré Rossini. Toujours farceur. Subtil aussi ? Parfois. Mais là n’est pas le propos.
Julie Bailly (Tisbe), Bruno De Simone (Don Magnifico), Sarah Defrise (Clorinda), Enrico Marabelli (Dandini), Marianna Pizzolato (Angelina), Dmitry Korchak (Don Ramiro)
© Jacky Croisier
Comme promis par l’intitulé de l’œuvre, la bonté triomphe. Peut-il en être autrement lorsque le rôle-titre est interprété par Marianna Pizzolato avec la modestie qui la caractérise ? Modestie au sens noble du terme c’est-à-dire parée de cette humble grandeur qui fait les âmes généreuses. Mieux qu’une princesse, une sainte. Le timbre chocolaté en colore les traits, l’agilité et la maîtrise du style complètent le portrait. Pourtant ce soir, Angelina ne se présente pas au meilleur d’une forme dont on a pu à Paris en 2012 comme à Pesaro en 2010 apprécier l’excellence. La projection n’est pas si affirmée et l’aigu parait soit abrégé, soit vidé de toute matière, ne retrouvant un peu de rondeur et d’ampleur que dans le rondo final, comme si la mezzo-soprano voulait ménager ses forces en vue de cette ultime épreuve. Après avoir fait assaut de bravoure dans Armida il y a quelques semaines, Dmitry Korchak semble lui aussi accuser la fatigue. Son prince, charmant dans l’allure, est un batailleur, conquérant ses notes les plus hautes à la hussarde, d’un chant qui rivalise d’agilité mais ne s’embarrasse pas de nuances. Au-dessus de la mêlée, tant par le volume que par la présence, Bruno De Simone brosse Don Magnifico à grands traits rageurs. Vaniteux, autoritaire, présomptueux, haïssable mais indispensable pour que la mayonnaise rossinienne prenne. Le chanteur se place à pied d’égalité avec l’acteur, virtuose par le débit intarissable d’un chant syllabique parfaitement maitrisé. Clorinda – Sarah Defrise – et Tisbe – Julie Bailly – sont « comme Papa », détestables, la première plus encore que la deuxième. Le livret l’exige. La partition aussi ? Courageux, Laurent Kubla prend à bras le corps un « Là del ciel nell’arcano » qu’une tradition compatissante a longtemps épargné aux titulaires d’Alidoro. La voix répond aux sollicitations de l’aigu mais les contorsions auxquelles la contraint une écriture impitoyable ne sont pas sans conséquence sur la couleur de l’émission. Les soubresauts de la partition malmènent dans une moindre mesure Enrico Marabelli sans entamer sa bonne humeur. Dandini est finalement un bon bougre.
A la direction d’orchestre, Paolo Arrivabeni se présente comme un gage d’orthodoxie rossinienne. Avec lui, crescendo n’est pas un vain mot. Tant pis, si le chœur – masculin – de l’Opéra Royal de Wallonie a parfois du mal à suivre et si la mécanique des ensembles n’est pas toujours impeccablement rodée, les représentations à venir – jusqu’au mardi 30 septembre – devraient mettre de l’huile dans les rouages.