Déjà entrée dans les mœurs lors de la précédente reprise parisienne, la proposition iconoclaste en son temps de Krzysztof Warlikowski ferait aujourd’hui presque figure de pilier du répertoire au Palais Garnier. Si l’on nous rapporte que le trublion franco-polonais a reçu une bordée de huées à l’issue de la première du 14 septembre, on serait plus enclin à la mettre sur le compte du folklore local à l’Opéra de Paris qui veut qu’une première, à quelque chapelle qu’elle puisse répondre, recevra sa rançon de lazzis. Rien de tel lors de cette deuxième représentation où figurants comme chanteurs sont applaudis avec chaleur, et où chacun semble suivre sans mal ce récit du souvenir, cette mise en scène par Iphigénie même d’un destin qu’elle s’imagine volontairement implacable. Surtout, et alors qu’on peut comparer les productions scéniques du metteur en scène à ce péché originel parisien (c’étaient ses débuts sous Gérard Mortier), on y retrouve, avec toutes leurs vigueurs, les qualités de l’on apprécie chez lui : direction d’acteur à la précision minutieuse, audaces et provocations qui toujours vont dans le sens profond du texte et de la musique, sens esthétique enfin puisque c’est tout Garnier et son public que l’on met sur la scène, témoins de cette tragédie de la mémoire.
Cette reprise, qui lance la saison lyrique de l’Opéra de Paris séduit surtout par les forces musicales qu’elle réunit. S’il faut encore quelques scènes à Thomas Hengelbrock pour obtenir la cohésion et les effets qu’il souhaite de l’orchestre, sa lecture s’avère irréprochable : vive, mais prenant le temps de la poésie et de la scansion du drame, attentive aux solistes qu’ils aient des cordes vocales, un bec ou un archet. Les chœurs suivent la même trajectoire : cueillis à froid, il faudra attendre la deuxième partie pour les entendre en parfaite cohésion.
© Sébastien Mathé / Opéra National de Paris
Sur le plateau, les lauriers se partagent de manière à peu près égale. Marianne Croux (Diane et première prêtresse), Jeanne Ireland (deuxième prêtresse et femme grecque) et Christophe Gay (Ministre et Scythe) remplissent leurs rôles avec brio. Ainsi l’intervention de Diane, deus ex machina depuis le paradis, de l’Opéra saisit la salle et le plateau. Jean-François Lapointe campe un Thoas tout en muscle et en éructation. Certes le portrait est efficace mais on est en droit d’aimer des fusains plus affutés et subtils. Julien Behr propose un Pylade de prime abord effacé, la faute à une projection moindre que ses comparses. Pourtant, style, déclamation et nuances dans les reprises font de ses airs des petites pépites de beauté musicale et d’intelligence dramatique alors même que le rôle semble le pousser dans ses retranchements. Pour ses débuts à l’Opéra de Paris, Jarrett Ott, américain en troupe à Stuttgart, déjà repéré dans Edward II à Berlin sans parler de Santa Fe où il aura croisé le directeur artistique Alexander Neef, peut se targuer d’avoir fréquenté le rôle. Et pour cause ! Stuttgart est coproducteur de ce monument warlikowskien. Rien à redire de cet Oreste aussi révolté que désespéré dès ses premières scènes et qui scande son premier air avec une aisance confondante. La prononciation est idéale, le portrait complet. Tara Erraught enfin n’a nullement a rougir devant ses illustres devancières à Garnier : la voix est ample et charnue, les aigus dardés ce qu’il faut pour épouser le rythme et les accents de Gluck. Son Iphigénie, humaine et fragile malgré l’ampleur de ses moyens vocaux, émeut à chaque instant.