Une voix venue d’abord de la coulisse en un effet scénique bienvenu, un timbre immédiatement identifiable, qu’autrefois l’on aurait dit ginguet – sec, un peu aigre –, une lumière vive et déjà une présence. Conséquence de la situation sanitaire, la caméra imposée par la retransmission de l’INSTANT LYRIQUE de Jessica Pratt en direct de la salle Gaveau, oblige le visage et le regard à autant d’expression que la voix. Depuis ses débuts, la chanteuse australienne s’est fait une spécialité du belcanto romantique, ces rôles de cinglée prétextés par le primo ottocento pour pousser les sopranos aux limites des possibilités humaines. Moins Rossini que Bellini et Donizetti. Il ne faudrait pas cependant réduire ces partitions extrêmes à leur suraigu. Jessica Pratt le prouve. Si les contre-notes ne l’effraient pas, l’intérêt de son chant se situe ailleurs, dans des roulades ébouriffantes, des notes trillées, piquées – plus d’ailleurs qu’augmentées ou diminuées – selon l’effet dramatique recherché.
Si rompue soit la cantatrice aux artifices belcantistes, l’exercice déjà difficile en temps normal est encore compliqué par l’absence de public. Il faut plus longtemps qu’à l’habitude pour que le chant s’anime. Les égarements d’Elvira, les divagations d’Emilia di Liverpool, à laquelle la jeune Joan Sutherland – un modèle avoué – prêta sa voix en 1957, ne suffisent pas à rompre la glace. C’est dans un deuxième temps, une fois l’Andante de Donizetti glissé entre les doigts habiles d’Antoine Palloc, que l’intérêt s’éveille. Parce que les scènes, d’une longueur supérieure, offrent à l’interprète plus de temps pour entrer dans le personnage et mieux en exploiter les possibilités expressives ? Peut-être. Toujours est-il que la température grimpe, que la voix s’échauffe, jusqu’à ce que Lucia, le rôle signature au sein d’un répertoire résolument romantique aujourd’hui comme demain – du propre aveu de Jessica Pratt – accomplisse les promesses d’Amina et de Linda. Là, plus qu’auparavant le chant se libère, le son s’arrondit, l’aigu s’adoucit, le corps entre dans le mouvement. Déjà perceptible, la complicité avec Antoine Palloc devient fusionnelle. Dans l’interminable cadence qui conclut la première partie de la scène, le piano parvient à se substituer à la flûte (ou dans la version originelle à l’harmonica de verre) et engage ce dialogue dont on ne sait s’il est duel ou dual.
Le meilleur pour la fin ? Comme souvent dans ce genre de récital où l’interprète, affranchie des contraintes d’un programme ambitieux, peut, soulagée, relâcher la bride. Ici, « Glitter and be gay », extrait de Candide de Leonard Bernstein, cheval d’arçon de Jessica Pratt qui range le temps d’un air la camisole de force pour revêtir les atours non moins virtuoses d’une fantaisie débridée et jubilatoire.