Les cheveux relevés, drapée au plus près dans une robe couleur chair, elle entre sur scène d’un pas lent, presque timide, quand, dans notre souvenir, en 2006 à Pleyel, elle avait surgi de la coulisse, crinière au vent, telle une lionne. Sept ans que la France n’avait pas applaudi Angela Gheorghiu en récital. L’accueil que lui réserve le public de l’Opéra de Versailles est à la mesure de l’attente : empressé. « Nous sommes en famille » annonce-t-elle, souriante et complice, après avoir embrassé d’un long regard la salle. La vedette – c’est le terme employé par le programme – semble ce soir décidée à ne pas jouer les divas. Relation de cause à effet ? Dans une interview accordée à un journal allemand en début de mois, elle disait vouloir dorénavant montrer « la vraie Angela ». La voix, elle, n’a rien perdu de son étoffe incomparable, plus affirmée qu’autrefois dans le medium, flattée par une salle de dimension humaine mieux adaptée à son format. Sans être faible, le volume n’a jamais été le premier de ses atouts. Pour autant, il faut un certain temps avant que ne se dissipe un certain malaise. « Ombra mai fu » n’aurait dû être qu’une entrée en matière, un de ces airs amis qui offrent au chant l’occasion de prendre ses marques. L’intonation imprécise, le trille avorté trahissent une tension que l’abus de coquetteries ne parvient pas à dissimuler. A trop se soucier d’apparence, l’interprétation frôle le contresens. Le mouvement entravé par la traine de sa robe, la soprano minaude plus qu’elle n’exprime. Les numéros, seule ou à deux, se suivent, tous gratifiés d’un chant à l’indéniable attrait mais dépourvus de discernement dramatique. La magie de « la romance à la lune » se dissout dans un parlando mal contrôlé. Défaut de diction française aidant, le duo de Roméo et Juliette, joue contre joue, main dans la main, frise le ridicule. La panthère a rentré ses griffes mais la cougar est de sortie. La « vraie Angela » craindrait-elle d’affronter le public seule ? A moins que, charitable, elle n’ait décidé d’apporter son soutien à ses jeunes confrères. Le calcul, dans le cas présent, n’est pas forcément le bon. Son partenaire de la soirée, Atalla Ayan, est un ténor de 27 ans dont le chant encore inhabile souffre de la confrontation avec celui, toujours envoutant, de « la soprano la plus éblouissante et la plus talentueuse de notre époque » – dixit le programme encore. Dans L’Elisir d’amore, l’arrivée chatoyante d’Adina, vêtue d’une robe à volants couleur soleil, rend encore plus épais les « La rà, la rà, la rà » de son Nemorino. A l’inverse, la prodigalité sonore de son partenaire tend à occulter l’art des nuances dont sait se montrer prodigue Angela Gheorghiu, cette capacité à moduler et infléchir la note qui auréole un « Ave Maria » d’Otello d’une sincérité bienvenue.
Comme la fausse Angela cependant, la « vraie » ne s’en laisse pas compter. A la tête du Bohuslav Martinu Philharmonic Orchestra, Tibertu Soare tient la baguette mais c’est elle qui dirige. « Ebben ? Ne andro lontana », l’air de La Wally rendu célèbre par Diva, le film de Jean-Jacques Beineix – un clin d’œil au passé ? –, obéit au tempo dicté par la soprano. Tant pis pour les décalages ! Un peu plus tard, « O mio Babino Caro » doit suspendre son cours pour que le souffle, inépuisable, maintienne à plusieurs reprises la note en apesanteur. L’effet est garanti. Le public, ensorcelé, manifeste bruyamment son enthousiasme. La « vraie Angela » est généreuse, elle enchaîne les bis. Après les extraits d’Otello et de Gianni Schicchi, vient une chanson roumaine a cappella qu’elle dédie à sa mère et à sa fille Ioana présentes dans la salle. Juste le temps pour Atalla Ayan de présenter son meilleur visage dans un « No Puede Ser » qui, mieux que le reste, supporte une étreinte trop virile, et voilà nos deux artistes valsant et chantant sur « Non ti scordar di me ». Le ténor en redemanderait encore mais d’un geste tendre, sa partenaire lui fait comprendre que le rythme de « Granada », l’ultime bis, n’est pas adapté à la valse. Dans cet air habituellement réservé aux ténors, elle dévoie alors les splendeurs de son chant, le bras tendu comme une andalouse, la tête inclinée, la main passée dans ses cheveux dénoués. La « vraie Angela » fait parfois penser à Dalida.