Il Turco in italia est un peu victime de son titre, qui rappelle trop celui de L’Italiana in Algeri au point que les contemporains de sa création croyant à une resucée de ce dernier, l’avaient accueilli sans grand enthousiasme. Plus subtil et moins immédiatement séduisant muscialement, l’ouvrage a toujours eu un peu de mal à trouver son public et ses exécutions modernes restent rares comparées au reste de la production de Rossini. Le livret de Felice Romani empreinte aux grands classiques de l’opéra-bouffe italien (mari trompé, vieux barbon, quiproquos prétextes aux grands ensembles rossiniens …) tout en apportant une distance pré-pirandellienne par l’intermédiaire du personnage du poète Prosdocimo, à la recherche d’inspiration pour son oeuvre, qui commente l’action et finit par tenter d’influer directement sur son déroulement.
Créée à au Garsingon Opera en 2011, la production de Martin Duncan est une véritable petite merveille. Ici, peu de gags faciles surajoutés : on rit (ou sourit) essentiellement à ce comique à la Feydeau, véritable mécanique d’horlogerie, parfaitement mise en place. L’action est transposée dans la Naples des années 50. La direction d’acteur est en tous points remarquable, Duncan alternant avec bonheur les moments de pure bouffonnerie et les scènes douces-amères comme le rejet social de Fiorilla quand son époux la met à la porte. On retrouve les mêmes qualités dans la fosse, grâce à la direction de David Parry, authentique spécialiste du belcanto romantique dont il a enregistré plusieurs ouvrages rares. Sa direction est alerte et vive, théâtrale, attentive aux chanteurs. L’orchestre sait aussi s’habiller de poésie, comme pour la scène de Fiorilla déjà citée. Sous sa baguette, la partition rossinienne apparait dans toute sa richesse.
© Alice Pennefather
Sarah Tynan est une Fiorilla pleine de vivacité, parfaitement à l’aise avec la vocalité rossinienne (la reprise de son air « Squallida veste e bruna » est parfaitement ornée). On aimerait néanmoins un timbre un peu plus capiteux. Le Selim de Quirijn de Lang a pour lui autorité et prestance, mais la voix manque un peu d’agilité dans les passages les plus rapides. Le Don Geronio de Geoffrey Dolton vaut à lui seul le déplacement. Certes, l’émission est un peu trop nasale, mais la grammaire rossinienne est pour l’essentiel respectée et l’acteur est d’une bouffonnerie absolument irrésistible. Son personnage est plein de tics (dont celui d’essayer régulièrement de dissimuler sa calvitie ; il reviendra au finale avec une perruque à la Donald Trump). Le Narciso de Luciano Botelho offre un timbre intéressant, une bonne vocalisation, mais s’il réussit ses quelques suraigus, ceux-ci sont excessivement en arrière. Son second air est chanté avec goût, avec une cabalette raisonnablement ornée, mais le premier se voit amputé de la sienne (on se demande parfois à quoi servent les auditions). La Zaida de Katie Bray se hisse au niveau de sa rivale, rééquilibrant de manière inhabituelle l’architecture de l’oeuvre. Sa voix est belle et bien projetée. Le poète de Mark Stone offre sans doute la voix la plus saine et riche du plateau, puissante et avec ce qu’il faut d’italianita. Son Prodoscimo est un bonheur à voir et entendre. En Albazar, Jack Swanson offre une voix jeune mais déjà très intéressante : quel dommage de lui avoir coupé son aria « Ah, sarebbe troppo dolce » ! Signalons enfin des choeurs particulièrement excellents.