Qu’il s’agisse de La bohème le 9 juillet ou de cette reprise du Barbiere di Siviglia le lendemain – 2e volet du « best of Italian opera » proposé jusqu’au 26 juillet par le Teatro Regio – Vittorio Borelli, le metteur en scène, ne déroge pas d’une virgule à la lettre du livret, jusqu’à replacer l’action dans son contexte d’origine, à savoir l’époque de Beaumarchais avec ses perruques poudrées et ses culottes de soie. La démarche pourrait être taxée de subversive si elle était calculée. Rien de tel ici, on s’en doute. Que Figaro soit rappeur ou barbier a de toute façon peu importance, puisque le propos reste fidèle à l’esprit de l’œuvre. Antonio Sarasso en serviteur muet apporte par des mimes habilement dosés le grain de fantaisie nécessaire à la mécanique comique. Pour le reste, la mise en scène s’en remet à Rossini et son librettiste. On ne saurait le lui reprocher. Le décor, composé de blocs pivotants montés sur roulette – façade de maisons sévillanes d’un côté, mur décoré de tableaux de l’autre – définissent l’espace et permettent de passer par simple rotation de l’extérieur à l’intérieur de la demeure de Don Bartolo. Tout au long de la représentation, rires et applaudissements – parfois au milieu des récitatifs et même des airs – l’attestent : on passe une bonne soirée. D’autant que la partition est proposée dans son intégralité, « Cessa di piu resistere » inclus, et que Giampaolo Bisanti mène l’ensemble bon train, un peu trop vite à notre goût, notamment lors du finale du premier acte. Orchestre et chœur lui obéissent comme un seul homme et Giannandrea Agnoletto, le maestro al piano forte a autant d’humour que de dextérité.
Côté chanteurs, aucun nuage ne vient troubler un ciel déjà serein, de Laviana Bini, bon pied bon œil quand Berta est trop souvent confiée à des chanteuses à bout de voix, à Antonino Siragusa, Almaviva malicieux au timbre certes particulier mais un des seuls aujourd’hui à pouvoir assumer toutes les facettes du rôle : qu’elles soient virtuoses – « Cessa di piu resistere » donc, assuré crânement dans toutes ses circonvolutions – ou élégiaques – l’usage de la voix mixte lors de la sérénade « se il mio nome saper voi bramate » qu’il accompagne lui-même à la guitare, en véritable chanteur de charme. Roberto de Candia prête à Figaro la rondeur bonhomme de sa silhouette et le soutien de son baryton solide et véloce, dont seul l’aigu abusivement couvert freine la spontanéité. Nicola Ulivieri et Marco Filippo Romano forment un duo de malfaiteurs d’une complémentarité réjouissante, le premier d’une noirceur inquiétante dans un air de la calomnie aux effets savamment mesurés, venimeux, insidieux jusqu’à un assourdissant « colpo di cannone » ; le second authentique basse bouffe avec tout ce que cela signifie de truculence, de sens du ridicule et de maîtrise du chant syllabique dans le redoutable « A un dottor della mia sorte ». Peu connue en France où elle n’a – sauf erreur de notre part – jamais été invitée à chanter, Chiara Amarù nous avait déjà tapé dans l’oreille, à Parme dans le rôle pourtant dramatiquement ingrat de Preziosilla, et auparavant à Pesaro, en Rosina. Déjà elle proposait de la future Comtesse Almaviva un portrait accompli, tant dans l’esprit – mutin – que dans la voix avec un mezzo-soprano charnu qui, par l’égalité des registres et la variété des couleurs n’est pas sans rappeler Teresa Berganza. De nouveau, nous voilà sous le charme de ce timbre original, difficile à définir, velouté, capiteux, enivrant qu’une maîtrise accomplie du style rossinien – avec notamment des variations inédites dans sa fameuse cavatine – projette ce soir encore au premier plan.