La réussite d’un spectacle peut s’expliquer par divers facteurs. Pour ce Barbiere monté dans le cadre du festival Rossini, on pourrait citer d’abord le lieu, le charmant Teatro Rossini tout en bois, à la dimension idéale, mais aussi une équipe de jeunes chanteurs enthousiastes, en parfaite osmose avec le chef et l’orchestre.
L’évidente complicité sur scène est d’autant plus remarquable dans cette version semi scénique signée par l’Académie des Beaux Arts d’Urbino, limitée à quelques projections et des éléments de décor rares et disparates mais suffisants pour illustrer l’action. Aux quelques bibliothèques délimitant l’espace scénique s’ajoutent quelques accessoires tel un cheval en bois ou une chaise à porteur. La première partie se déroule de toute façon dans la salle elle-même : ainsi, Figaro, Converses rouges au pied et costume beige discret, qui s’est glissé subrepticement dans la salle pendant l’ouverture, fait littéralement sursauter la spectatrice assise à ses côtés en lançant ses « La ran la lera » du « Largo al factotum » au beau milieu du parterre et Rosina répond à son amant d’une loge côté jardin. Les interprètes, à la vis comica certaine, possèdent suffisamment leurs personnages pour les faire vivre dans ce contexte dépouillé.
Côté musical, on sait dès l’ouverture que l’on est entre de bonnes mains. La direction de Giacomo Sagripanti est acérée et réfléchie, la partition pourtant rebattue en ressort comme renouvelée : l’écoute comparée, à un soir d’intervalle, avec la même ouverture jouée en introduction d’Aureliano in Palmira par l’Orchestra Sinfonica G. Rossini sous la direction de Will Crutchfield renforce encore, par contraste, cette impression de vivacité et d’esprit. Le chef qui dirige sans partition fait corps avec les musiciens d’un orchestre du Teatro Comunale di Bologna virtuose, aux couleurs chatoyantes (notamment les vents). Il ose des rubati presque exagérés et met en exergue des traits peu communs, n’hésitant à faire ressortir le côté grinçant de la partition. Surtout il tient parfaitement ses troupes avec des ensembles réglés au cordeau. Seule exception notable, le final du premier acte, plutôt brouillon à cause du chœur amateur San Carlo di Pesaro, à la justesse rythmique toute relative.
© Amati Bacciardi
La distribution est au diapason, notamment son trio de tête, Figaro, Rosine et le Comte. Dans le rôle titre, le baryton français Florian Sempey obtient un triomphe personnel aux saluts. Il faut dire qu’il réunit des qualités essentielles pour le rôle : un véritable aplomb scénique, une voix plutôt claire très souple, une belle aisance dans l’aigu qui lui permet de varier son « Largo al factotum ». On sent également qu’il a travaillé sa grammaire rossinienne et son chant syllabique si spécifique. Voilà au final un barbier qui mène parfaitement la danse !
Son padrone, le Comte Almaviva, trouve en Juan Francisco Gatell un interprète de choix. Pesaro oblige, on a le droit à la partition intégrale, incluant le rondo final du Comte « Cessa di più resistere », qui ne pose aucun problème au ténor argentin. L’interprète est vif et sensible, varie avec goût les reprises. Tout au plus pourrait-on rêver d’un timbre moins uniforme et de suraigus plus percutants, qui rendraient le Comte un peu moins effacé face à sa dulcinée.
Sa bien-aimée a en effet bien du tempérament sous les traits de Chiara Amarù. Au niveau du caractère d’abord, cette Rosine ne s’en laisse pas compter, femme moderne libérée, très « nature », à la limite de la peste. Sur le plan vocal ensuite: c’est une Rosine sonore, au timbre rond et sombre de contralto, à la vocalité fluide et déliée. Passant après moult interprètes mythiques, elle parvient à surprendre par des ornements originaux notamment dans le grave, et des effets étonnants tel cet aigu soudain trillé dans son premier air.
Les clefs de fa ne se laissent pas impressionner pour autant. Honneur d’abord au Basilio époustouflant d’Alex Esposito. Certes, d’aucuns pourront préférer une basse plus caverneuse, mais son air de la calomnie laisse pantois : rarement aura-t-on connu tel crescendo qui glacerait presque le sang si l’on n’y devinait par ailleurs la rouerie du personnage. Bartolo, le tuteur, et accessoirement le dindon de la farce, est campé par Paolo Bordogna, grand habitué de Pesaro qui a audiblement des admirateurs dans la salle. On n’a rien à lui reprocher scéniquement, il joue les barbons avec entrain, mais vocalement, le rôle lui convient moins naturellement que d’autres rôles bouffes chez Rossini : la voix à la projection haute manque de couleurs et d’éclat, souvent couverte dans les ensembles. Reste une aisance toujours confondante dans le chant orné staccato.
La Berta de Felicia Bongiovanni, enfin, est efficace sans toutefois tirer la substantifique drôlerie de son aria di sorbetto.