Ce Barbier de Séville nous vient de Cardiff, associé aux Noces de Figaro et à Figaro divorce sous l’intitulé « Trilogie Figaro ». Par-delà leur esthétique spécifique, l’idée est originale d’avoir regroupé trois ouvrages inspirés par Beaumarchais en un cycle dont la scénographie et les costumes doivent donner un supplément de cohérence. Si les chefs, les formations, les solistes changent pour chaque opéra, les metteurs en scène se sont concertés. Les principaux artisans de ce lien fort sont Ralph Koltaï (décors) et Sue Blane (costumes), qui signent les trois productions. Un dispositif ingénieux de deux grands panneaux, pivotant chacun sur leur axe, permet de moduler l’espace scénique, autorisant les changements à vue. Ces éléments, translucides pour le Barbier de Séville, sont mis à profit par des éclairages valorisant leur opacité comme leur transparence. Les costumes, colorés, surprenants, sont cocasses, appropriés, en parfait accord avec l’esprit bouffe. Renouvelés pour chacun des ouvrages, ils doivent permettre d’identifier sûrement chacun des acteurs, et de participer à la continuité de la narration.
Sam Brown s’est brillamment illustré dans la comédie musicale et ses choix en portent la marque, particulièrement à l’orage du second acte. La mise en scène nous promet un Barbier « très drôle ». Cependant, pour intelligente, fine et inventive qu’elle soit, l’esprit bouffe fait défaut, les gags – nombreux et bienvenus – ne suffisent pas. On sourit, dans le meilleur des cas. La faute sans doute à une direction d’acteurs inaboutie : point ne suffit de régler les déplacements et la gestique pour que les personnages soient crédibles. Oublions le continuo appliqué, scolaire, sans la moidre malice, de Jonathan Nott. Sa direction musicale nous plonge dans un abîme de perplexité. Le premier acte se traîne, fin, élégant certes, mais dépourvu de cette dynamique, de cette vigueur, de cet esprit, essentiels à la musique de Rossini. Les tempi sont alanguis, les contrastes amoindris. Diriger Rossini est un défi pour un chef qui excelle dans le romantisme et le postromantisme germaniques. Ce soir l’échec est manifeste. La faute n’en incombe pas à l’orchestre, clair, agile, ductile, aux belles couleurs.
Lena Belkina (Rosina) © Magali Dougados
L’ouverture est illustrée par la projection sur le rideau de scène d’un cœur percé d’une flèche, puis par un ballet original, où les danseurs tout de noir gainés manipulent de gigantesques ciseaux, barbier oblige, dans des éclairages très professionnels. Les tableaux successifs gagneront progressivement en couleur pour de belles images, renouvelées à la faveur des éléments mobiles. Comment résister à l’attrait des costumes ? Celui de Basilio, mal voyant, avec son chien en peluche (animé par la laisse), celui de Lindor en garde suisse avec hallebarde à la fin du premier acte ? Celui de Basilio et de son double, tous deux habillés à l’identique ? Comment ne pas sourire quand Figaro entrouvre la caisse du piano-forte pour tourner les pages du faux Basilio, puis en sortant après que Berta y ait jeté son mégot, provoquant la fumée à laquelle il cherche à échapper ? De ce côté, la réussite est manifeste.
Malheureusement, la réalisation vocale, très inégale, ne répond pas à nos attentes. Le Comte est Bogdan Mihai, familier du rôle. La voix est souple, sonore, au timbre agréable, le personnage séduisant. La noblesse, l’autorité sont en filigrane. C’est dans le duo avec Bartolo (« Pace e gioia ») et le trio (« Ah ! qual colpo ») qu’il apparaît le meilleur. Bruno Taddia, dont on se souvient du Figaro au Châtelet, a de l’autorité. Sa voix est toujours projetée, puissante, trop, jusqu’à des accents aboyés. Sa présence scénique, incontestable, ne permet pas de dissimuler ses travers. On est très loin du chant rossinien. Tout comme avec Rosine de Lena Belkina, mezzo sonore, aux beaux graves, à l’ambitus large, certes, mais à contre-emploi. Dès sa redoutable cavatine (« Una voce poco fa »), les jeux sont faits. L’air et la cabalette sont chantés comme un air de bravoure, avec une volonté démonstrative de puissance. On cherche la légèreté, la vivacité, l’articulation. Mûre, trop, sans doute, cette Rosine supposée dans sa prime jeunesse. Les carences seront amoindries dans les récitatifs comme dans le « Contro un cor che accende amore », et les ensembles. L’erreur de casting n’en est pas moins manifeste. Le Basilio de Marco Spotti tire bien son épingle du jeu : la voix est profonde, longue, et sa « Calunnia » est fort bien conduite, avec un orchestre qui serait parfait, n’étaient quelques petits décalages. Berta, Mary Feminear, est chantée avec une rare aisance et fraîcheur. Son air de sorbet « Il vecchiotto cerca moglie » est délicieux. Le meilleur pour la fin : Bruno de Simone, un vrai rossinien, familier du rôle, à la voix très agile, puissante, bien timbrée, campe un Bartolo exemplaire, tant par sa justesse psychologique – on y croit – que par son chant. Une grande leçon qui nous réconcilie avec l’ouvrage. Les interventions des chœurs sont toujours bienvenues, y compris dans l’ajout a cappella , avec parapluies multicolores, durant l’orage orchestral, dont l’illustration visuelle n’est pas moins bonne. Les ensembles sont réglés avec soin et les finales de chacun des actes sont d’excellents moments, où on oublie les faiblesses de tel ou de tel.