Une foule de puritains vêtus de noir s’empare d’un couple en fuite. L’homme (le roi Charles Ier) est rapidement décapité avec un couteau pendant que sa femme se fait violer en coulisses. Les assassins chantent un pieux cantique une fois leur forfait accompli. La scène sur laquelle s’ouvre la nouvelle production d’I Puritani à l’Opéra de Zürich évoque immédiatement une actualité des plus présentes et nous rappelle que la problématique de l’œuvre conserve toute sa validité de nos jours.
Le metteur en scène et directeur de l’institution Andreas Homoki place l’ultime opéra de Vincenzo Bellini dans un espace intemporel (décors d’Henrik Ahr), tandis que les costumes historisants de Barbara Drosihn nous ramènent dans l’Angleterre du 17e siècle décrite dans le livret, à l’époque des guerres civiles où les partisans des Stuart affrontent ceux d’Olivier Cromwell. Le plateau, noir, présente en son centre un grand cylindre qui pivote, s’ouvrant sur un intérieur clair imitant le bois et venant créer un second espace de jeu. Passée la scène d’ouverture, une forêt de pendus ou un tas de cadavres viendront y rappeler la cruauté régnante. L’endroit sert aussi à montrer et mimer une autre action, celle parfois racontée par les personnages dans leurs différentes interventions, tout autant que le monde de la folie dans lequel s’enferme l’héroïne Elvira.
Homoki ne travestit l’intrigue d’aucune manière, à l’exception du seul finale. En respectant le livret, l’annonce de la victoire de Cromwell et de l’amnistie des prisonniers induit en effet un lieto fine peu convaincant et qui surtout ne trouve guère d’écho dans la musique de Bellini. Dans la production zurichoise, le désir de vengeance et de sang est tel que la victoire ne peut empêcher l’exécution de Lord Arturo Talbo, concluant l’opéra dans la même atmosphère de violence sur lequel il avait débuté. Avec un tel respect du texte, le dispositif scénique en deux tons, présent d’un bout à l’autre d’un spectacle de trois heures, pourrait faire craindre une rapide lassitude. Dans une œuvre qui, de par sa dramaturgie, pourrait être prétexte à un catalogue de toutes les poses affectées de l’opéra italien, s’ajoute ici la grande sobriété du décor qui exige d’être habité en permanence par les chanteurs. Ces écueils sont la plupart du temps évités, ceci grâce à une direction d’acteur impeccable et inventive. C’est là qu’Homoki réussi pleinement son travail: chaque page de la partition est jouée d’une manière qui laisse aux solistes la liberté de mouvement nécessaire pour maîtriser leur partie le plus souvent virtuose, mais qui en même temps s’avère théâtralement convaincante, y compris dans les répétitions propres aux cabalettes émaillant la pièce. Cette théâtralité est aussi celle du chœur, presque omniprésent et toujours bien intégré à l’action.
Pretty Yende (Elvira) © Judith Schlosser
La direction d’acteur n’est bien sûr par le fait du seul metteur en scène, mais aussi celui des solistes que le public aura longuement ovationnés. Peuplé de vrais acteurs, le plateau offre aussi un grand moment sur le plan vocal et permet d’apprécier l’incomparable écriture de Bellini. A commencer par Pretty Yende. A trente et un ans, la Sud-africaine fait ses débuts remarqués dans le rôle d’Elvira pour lequel elle possède à la fois le lyrisme et l’agilité, ainsi qu’un timbre d’une fraîcheur idéale. D’une étonnante souplesse vocale, elle semble venir à bout sans effort d’une partie pourtant redoutable. A ses côtés, l’Américain Lawrence Brownlee ne démérite absolument pas en Lord Arturo, mais sa voix n’a pas tout à fait le même charme. L’émission s’avère par moment un peu serrée et son timbre ne prodigue pas le même enchantement. Le ténor se fait voler la vedette par les deux principaux rôles graves de la production. Le baryton George Petean incarne pour la première fois Sir Riccardo Forth, l’amoureux éconduit, et parvient à donner les nuances requises à son personnage déchiré entre un désir de vengeance et le souci de ne pas faire de mal à une Elvira toujours présente dans son cœur. L’oncle de cette dernière, Sir Giorgio, est incarné par Michele Pertusi dont le timbre chaleureux insuffle l’humanité nécessaire à ce rôle à la fois de confident et de médiateur. Son duo avec Riccardo qui conclut le deuxième acte aura représenté un grand moment de la soirée. Le reste du plateau est d’une qualité semblable, qu’il s’agisse de Wenwei Zhang (Lord Gualtiero Valton), de Dmitry Ivanchey (Sir Bruno Robertson) ou de Liliana Nikiteanu (Enrichetta di Francia), trois autres prises de rôle dans un spectacle qui en compte décidément beaucoup.
Tandis que le chœur de l’Opéra de Zürich se montre à la hauteur de son talent habituel, Fabio Luisi est lui aussi l’un des grands protagonistes de la soirée. A la tête du Philharmonia Zürich, il accompagne parfaitement les chanteurs, mais fait également ressortir tout ce que la partition contient d’innovant. Avec I Puritani, Bellini donnait en effet à l’orchestration un soin et des couleurs inédits chez lui, à l’instar de la tempête qui ouvre le troisième acte et de plein d’autres moments où l’orchestre devient un véritable partenaire de la voix. En accordant aux parties instrumentales l’attention qu’elles méritent, Luisi fait clairement ressortir les couleurs déjà verdiennes du drame et parachève une production d’une violente beauté qui vaut amplement le déplacement.