La mort rode en permanence dans cette nouvelle production de I Capuleti e i Montecchi de Bellini, que l’Opernhaus Zurich a confié à Christof Loy et au directeur musical Fabio Luisi. Autour d’une distribution solide, Joyce DiDonato (Roméo) fait ses débuts sur la première scène helvète.
Donner vie à des œuvres belcantistes demande un certain savoir-faire : il faut des chanteurs excellant dans la variation, la coloration et la virtuosité technique, seuls garants d’un style d’où nait la théâtralité, ainsi qu’une direction d’acteur qui relève de l’orfèvrerie, à même de rendre signifiant l’enchainement des numéros. Le mythe des amants maudits que Vincenzo Bellini met en musique s’éloigne du baroque shakespearien, et de sources éparses, revient vers une vision plus classiquement tragique. Christof Loy se saisit de cette spécificité de l’œuvre bellinienne pour construire un spectacle fort. Le lieu et la temporalité sont resserrés dans la maison un peu délabrée des Capulets à une époque moderne (costumes, armes à feu). Sont disposées sur une tournette les pièces de la demeure, de la chambre, de la salle d’eau, au bureau du père tutélaire, jusqu’à la salle de réception. D’un quart de tour l’on change de lieu, de fonction et donc de valeur : de l’intime au politique et vice versa… un peu trop souvent d’ailleurs, on aimerait que la tournette cessât de tourner parfois. L’allemand réintroduit pleinement le tragique par le truchement d’un acteur – troublant et fascinant Gieorgij Puchalski – que l’on prend de prime abord pour l’homme lige de Roméo, avant de comprendre qu’il s’agit d’un ange noir, annonciateur de la mort à venir : c’est lui qui préparera la potion de Juliette puis le poison de Roméo. Il contemplera son œuvre de haut depuis le rebord de la fenêtre, satisfait. Bien entendu, ce Fatum omniprésent se retrouve dans la conception des personnages, qui subissent plus qu’ils n’agissent. Juliette est un enfant traumatisée, violentée par son père depuis l’enfance. Différents tableaux qui défilent pendant l’ouverture l’assènent clairement. Elle est incapable de se détacher de ce carcan familial. Quant à Roméo, pour bravache qu’il apparaisse, il est impuissant : échec à convaincre Capellio et Tebaldo de conclure la paix et échec à convaincre Juliette de partir. Les velléités affichées des personnages, très bien rendues par les interprètes, et le tragique réintroduit par Loy créent toute l’ambivalence de ce spectacle, qui tout en suivant au plus près le livret, approfondit ses significations.
© Monika Rittershaus
La distribution réjouit. Joyce DiDonato triomphe par une maitrise irréprochable du style, l’intelligence des variations et l’aisance vocale. A l’unisson de son chant, ce rôle travesti lui sied sans effort : son Roméo est viril et pugnace. Suite à un jeu de chaises musicales dont les maisons d’opéra ont le secret, Olga Kulchynska remplace Anita Hartig pour l’ensemble des représentations. Sans être une révélation, la jeune artiste est prometteuse : le timbre est beau, l’aigu facile et insolent. Seul bémol de taille, les variations et les couleurs sont encore trop timides pour prétendre à un plein bel canto, sans parler des nuances puisque piano et notes filées sont pour l’instant absents de la palette de la soprano russe. A mi-chemin entre elle deux, on retrouve Benjamin Bernheim en Tebaldo. Formé dans la troupe zurichoise le ténor finit ses classes en interprétant rôles et styles différents. L’an dernier, il éblouissait en Narraboth. Ici il est un peu hors-sol : le timbre est splendide, et les difficultés du rôle s’effacent devant une technique solide. Mais le style, scolaire, ne propose que quelques variations dans les reprises, et là encore fort peu de piani. Alexei Botnarciuc (Capellio) et Roberto Lorenzi (Lorenzo) défendent leur personnages d’une belle présence scénique et complètent cette distribution aux qualités indéniables, même si pas toujours en adéquation stylistique à l’œuvre.
Le chœur enfin témoigne par son chant d’une préparation parfaite et de la finesse de la direction d’acteur du metteur en scène. Loin d’être immobiles et disposés en face du public, chacun trouve toujours une action à accomplir, un regard à adresser, qui soutiennent d’autant la vision tragique de cette production.
Fabio Luisi se sera imposé cette saison comme un chef avec lequel il faut compter dans le répertoire romantique de la première moitié du XIXe : après Macbeth à New York, Norma déjà sur la scène zurichoise, le directeur musical remporte un succès supplémentaire. Sous un tempo plutôt rapide, il est le grand ordonnateur d’un orchestre où les pupitres rivalisent de beaux sons, où chacun s’entend avec clarté, notamment certains soli aux violons. L’attention à la scène et au drame parachèvent cette brillante démonstration.