De tous les « Comic Operas » de Gilbert et Sullivan, HMS Pinafore est, avec Le Mikado, Patience et Les Gondoliers, leur plus grand succès à la création, avec 571 représentations d’affilée, succès qui ne s’est pas démenti depuis. Musicalement, ce n’est pourtant pas la partition la plus aboutie ni la plus originale ; quant au sujet, il fait surtout penser à un mélange du Trouvère et de La Vie est un long fleuve tranquille, qui auraient été transposés dans la marine de sa gracieuse majesté : une femme un peu louche a échangé deux enfants à la naissance, dont l’un a accédé au commandement, et l’autre est resté simple marin. À la fin, chacun retrouve le rang dû à sa véritable naissance. Comme toujours chez Gilbert, il s’agit donc d’une attaque en règle des travers de la société victorienne, qui trompait la censure sous le couvert d’une gentille et peu sérieuse historiette mêlant lyrique, théâtre et danse.
Par ailleurs, HMS Pinafore, par son sujet, est l’une des œuvres qu’il est quasiment impossible d’adapter dans des mises en scènes décalées, dans la mesure où tout l’argument est directement lié à la marine royale anglaise. Donc le principe du festival Gilbert et Sullivan de Harrogate, qui est de se garder de tout modernisme, trouve ici sa pleine justification. De ce fait, le décor de Paul Lazell représente comme il est d’usage le pont d’un navire, avec en toile de fond le Victory, et l’action s’y déroule dans des costumes des années 1880. La mise en scène de John Savournin paraît très respectueuse d’une tradition qu’au total on connaît mal, mais qui est en tous cas tout le contraire de poussiéreuse. Tout y est vif, alerte, les mouvements et ensembles dansés sont réglés au quart de tour. Bref, il s’agit d’un travail hautement professionnel. Seuls les éclairages de Stephen Holroyd, qui changent constamment sans raison, sont un peu lassants, et quelques franges lumineuses auraient pu être évitées.
© Photo Jean-Marcel Humbert
L’œuvre est construite autour de la personnalité de Sir Joseph Porter, premier Lord de l’Amirauté, venu inspecter le navire pour des raisons plutôt extra-maritimes. Ce type de rôle de baryton comique, habituel chez Gilbert et Sullivan, constitue un emploi très particulier où l’exagération comique ne doit tomber ni dans le ridicule ni dans le vulgaire. Kevin Gauntlett y est fort drôle, sans toutefois faire oublier quelques uns de ses illustres devanciers. Autre type de rôle redondant, celui de la femme du peuple « Lady » Buttercup, sorte de mégère bon-enfant, à la voix usée par les années, et souvent donc attribué à des actrices plus parlantes que chantantes. Sylvia Clarke y est également très bonne, montrant une bonne habitude de la scène et de ce genre d’emploi.
Les autres rôles sont tenus par des chanteurs classiques habitués du grand répertoire lyrique notamment mozartien et verdien : le capitaine Corcoran (Kevin Greenlaw, beau baryton lyrique), sa fille Joséphine (Elinor Jane Moran qui a la voix et le charme parfaits de « jeune première Gilbert et Sullivan ») et le marin dont elle est amoureuse, Ralph Rackstraw, interprété au pied levé par Michael Vincent Jones, venu des chœurs en remplacement du titulaire souffrant, montrant là de réelles qualités de comédien-chanteur. Une mention spéciale au baryton comique Matthew Kellett dans le rôle du second maître Bill Bobstay, et au vétéran de la défunte D’Oyly Carte Opera Company, Bruce Graham (Dick Deadeye). La direction de David Steadman, à la fois classique et enlevée, ne ménage pas un temps mort, et est ainsi l’un des artisans majeurs de la réussite de l’ensemble.