En mars 2014 à Versailles, l’exhumation d’Herculanum, seule partition de Félicien David que l’on puisse rattacher au genre du grand opéra, fut contrariée par l’aphonie de Karine Deshayes, magnifique Olympia cependant dans l’enregistrement qui suivit. Le privilège de la résurrection intégrale revient donc au Wexford Festival Opera dans une mise en scène de Stephen Medcalf, qui enterrerait définitivement l’ouvrage si l’interprétation musicale n’en validait l’indéniable intérêt. Les maladresses du livret ne peuvent à elles seules justifier la platitude d’un parti-pris scénique dont on ne sait s’il faut moquer ou pleurer l’indigence du mouvement, l’usage de ce qui s’apparente désormais à des poncifs – arrêts sur image, gestes au ralenti, hémoglobine… –, le ridicule malvenu de costumes à la mode du premier empire – quand Herculanum fut créé durant le second –, les contresens (Nicanor assommé d’une pierre par Lilia au lieu d’être foudroyé par Dieu, refus de l’intervention divine d’autant plus inacceptable que l’apparition surnaturelle de Satan demeure), la laideur des décors, entre autres insuffisances. A rebours des règles du genre, on en viendrait presque à préférer une version de concert.
Pour le reste, sans crier au chef d’œuvre, la force dramatique de certaines scènes, ajoutée à l’élégance mélodique des phrases les plus abouties, donne à entrevoir le chaînon manquant entre Meyerbeer et Bizet. Ce n’est cependant pas par le biais des influences – là Verdi, ici Gluck, Rossini et même Spontini – qu’il faut appréhender la musique de Félicien David mais par la découverte heureuse d’une inspiration qui n’a que l’inégalité pour limite. Les faiblesses du livret aidant, la musique parfois s’essouffle et le fil entre les numéros peut sembler épais. Berlioz, davantage connu pour son art de la formule que pour son indulgence envers ses contemporains, disait qu’Herculanum contenait « une foule de belles choses ». Seule, l’orchestration lui paraissait « un peu terne ». Jean-Luc Tingaud n’en a que plus de mérite de donner à apprécier, derrière l’indispensable élan théâtral, une délicate palette de coloris instrumentaux, exempte d’effets gratuits et de vulgarité. Dans un rapport idéal entre fosse et plateau, aidé peut-être en cela par l’acoustique du jeune O’Reilly Theatre, le chef conduit d’une main assurée des forces musicales dont le chœur, favorisé par une partition qui va jusqu’à le diviser par huit, n’est pas le moindre des atouts. L’Irlande est terre chorale, cela s’entend dans l’homogénéité épanouie du son et l’attention portée aux vers de Méry et Hadot – les librettistes – par-delà les difficultés de prononciation d’une langue étrangère.
© Clive Barda/ArenaPAL
Le français est ici, on s’en doute, talon d’Achille, à commencer par les deux rivales, Daniela Pini (Olympia) et Olga Busuioc (Lilia), inintelligibles et trop éloignées, l’une et l’autre, d’une écriture dont elles dominent mieux les notes que le style. On cherchera en vain dans le chant de la première, agile et long par ailleurs, l’ombre du contralto colorature – Adélaïde Borghi-Mamo – pour lequel David conçut le rôle tout comme il existe un large fossé entre la vocalité de la seconde, résolument vériste, et un soprano censément drapé dans une déclamation héritée de Gluck : Butterfly accomplie à Bologne l’an passé en attendant Limoges la saison prochaine, sûrement ; mais tragédienne sculpturale arc-boutée sur le geste et le mot, sûrement pas.
Alors que dans un français également déficient, Rory Musgrave échoue à faire de l’intervention de Magnus à la fin du premier acte un véritable coup de théâtre, l’autre baryton de l’histoire, Simon Bailey, rafle la mise en cochant toutes les cases requises par le double rôle de Satan et de Nicanor, à commencer par cette qualité de prononciation qui fait si cruellement défaut à ses partenaires. Savoir aussi bien insinuer que proférer est indispensable pour donner à comprendre la puissance de l’esprit du mal. Manipulateur lubrique et pervers, Simon Bailey ajoute à la science du texte celle de la couleur, nécessaire pour faire de la scène des enfers mieux qu’une mascarade romantique, un tableau terrifiant qu’une mise en scène moins scolaire aurait pu rendre plus impressionnant encore.
Satan conduirait donc le bal si Andrew Haji, dans le rôle d’Helias, ne faisait également sensation. Comment ne pas être conquis par une émission haute dont la lumière claire et douce éblouit : clarté de l’articulation qui fait de chaque mot une évidence ; douceur souple de la voix à laquelle il suffirait d’un surcroît de vaillance pour que les plus grandes maisons d’opéra se l’arrachent.