Premier récital de la saison, et en même temps le plus attendu, le concert de Matthias Goerne et Pierre-Laurent Aimard proposait un programme savamment construit, une exploration à travers le très romantique répertoire de Beethoven, Schubert et surtout Brahms, autour des thèmes de la nuit, du désespoir, la présence de la mort, le sentiment d’abandon au sein de la nature. Mais quelque chose ne tourne pas rond, ce soir-là, Dieu sait pour quelles raisons : sont-ce les toussotements incessants d’un public pris par les premiers frimas de l’automne et un peu dissipé, ou l’état de la salle, pas vraiment remplie malgré la réputation des artistes, ou simplement un jour sans grâce, où pianiste et chanteur se retrouvent sans véritable plaisir ? Tout, dans l’attitude du baryton témoigne d’un certain malaise : chantant les trois quarts du temps face à son pianiste – et tournant donc le dos à la moitié droite de la salle – le chanteur courbé vers l’instrument semble chercher la symbiose avec son partenaire en plongeant l’oreille droite dans le piano, maintenant quasi en permanence un contact visuel avec son accompagnateur, comme pour se rassurer. Matthias Goerne mime la musique au moment même où il la fait, soulignant le galbe d’une phrase avec le bras, sculptant la partition avec tout le corps, dirigeant quasiment la musique pour son pianiste. Ce n’est qu’en de rares occasions qu’il se tourne vers son public, qui dès lors a l’impression d’assister à une performance qui ne le concerne pas vraiment, qui ne lui est pas adressée, comme s’il avait été admis à titre exceptionnel à une séance d’enregistrement, ou quelque chose de ce genre. Le résultat musical, heureusement, ne souffre guère de cette étrange (et très inhabituelle) attitude. La voix est splendide, avec son timbre sombre d’une grande richesse, son legato tout à fait exceptionnel, et le sens musical ou poétique des deux interprètes n’est jamais pris en défaut. Le récital commence par les six lieder de l’opus 48 de Beethoven, pas vraiment un cycle, mais qui présentent tout de même une unité de pensée, tant par la partition que par les textes à résonance luthérienne de Gellert. Refusant les applaudissements, Goerne enchaîne ensuite sans transition en plongeant le public dans le Schubert le plus désespéré qui soit, avec les trois chants – sublimes – du harpiste sur des textes de Goethe, extraits du Wilhelmmeister. Viennent enfin, pour clore cette première partie, et toujours enchaînés, les quatre chants sérieux de Brahms, dans la même veine sombre, avec comme sommet absolu peu avant la pause, le fameux « O Tod, wie bitter bist du ». Goerne alors se fait funambule, entraîne son public vers les cimes en prenant tous les risques : transparence de la voix, nuance infiniment tendre, soumission au texte avec une pudeur extrême ; du grand art qui donne le frisson. La deuxième partie n’est guère plus joyeuse, mais conduit vers d’autres sommets subtilement enchaînés; « Der tod das ist die kühle Nacht » (toujours de Brahms) ensuite l’étonnant « Nachstück » de Schubert (D672 sur un texte de Mayrhofer) ou encore le « Mondenschein » de Brahms, autant de moments forts où l’adéquation de la voix du chanteur avec la partition est idéale. Le récital se termine par le « Lerchengesang » (toujours Brahms) que le public, inculte ou insensible, applaudira avant la fin, privant les amateurs des indispensables et délicieuses secondes de silence qui suivent les grandes émotions musicales. Malgré des applaudissements chaleureux et largement mérités, aucun bis ne viendra récompenser ce public sans grâce qui repartira nourri, certes, mais un peu chagrin, vers les brumes de la Toussaint. |
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Ernste Gesänge — Bruxelles (Bozar)
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Spectacle
26 octobre 2012
Goerne malgré lui
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3
Infos sur l’œuvre
Détails
Ludwig van BEETHOVEN
Franz SCHUBERT
Johannes BRAHMS
Ernste Gesänge
Matthias Goerne
baryton
Pierre-Laurent Aymard
piano
Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, vendredi 26 octobre 2012, 20h
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