Michel Fau entouré des chanteurs de l’Ensemble Marguerite Louise © Marcel Hermann
Parmi les premiers événements du 400e anniversaire de la naissance de Molière, l’Opéra Royal de Versailles nous a convié à une magnifique réalisation de George Dandin, créé en 1668 pour « le Grand Divertissement Royal de Versailles » à la suite de la paix conclue avec l’Espagne. Souvent considéré comme une œuvre mineure, George Dandin prend ici toute sa dimension, et acquiert surtout une tout autre portée, accompagné de la musique et du ballet conçus par Lully avec la complicité de Molière. En ce sens la mise en scène de Michel Fau, si elle peut dérouter au début par l’outrance de la déclamation, prend tout son sens au fur et à mesure de la représentation. Elle s’apparente à une sorte de théâtre de la cruauté version Grand Siècle. George Dandin est un paysan fortuné qui a acquis un titre de noblesse en épousant la fille d’un hobereau ruiné. Sa jeune femme, mariée contre son gré, ne cesse de le cocufier. Il tente à plusieurs reprises de la prendre sur le fait mais en vain, les parents aristocrates n’ayant alors de cesse de l’humilier. Le décor d’Emmanuel Charles est très judicieux. La maison du paysan au fond d’une forêt touffue est dominée par une sorte de donjon où évoluent les aristocrates, tandis que Dandin est contraint d’escalader sans succès un vaste enchevêtrement de racines et de branches pour les atteindre et tenter de les convaincre des supposées turpitudes de leur fille. Le personnage est d’emblée pitoyable et l’ironie grinçante du sujet mise en relief dès l’ouverture du rideau. Dans les éclairages magnifiques de Joël Fabing, imitant ceux des théâtres à la bougie de l’époque baroque, les acteurs, éclairés par en-dessous, deviennent cauchemardesques. Ce cauchemar est d’autant plus violent que les diatribes de Dandin sont interrompues quand la forêt s’écarte et laisse place à un ballet de pastoureaux, affublés de vêtements somptueux de brocarts rouge vif, de dentelles et de rubans, couronnés de coiffures empanachées (magnifiques costumes de Christian Lacroix) comme dans les mascarades qu’affectionnait la Cour. Et dans ces divertissements, ils chantent l’amour et la fidélité en s’adressant sans cesse à Dandin. La musique de Lully n’est pas toujours du meilleur cru mais elle réserve quelques beaux moments lyriques notamment une superbe plainte de soprano (ici Juliette Perret ou Cécile Achille). Gaétan Jarry, au clavecin, est à la tête de l’Ensemble Marguerite Louise, dont les chanteurs sont aussi danseurs et comédiens avec un remarquable talent. Dans le quatuor vocal on remarque le timbre du baryton David Witzcak et l’excellente composition de François-Olivier Jean. Les acteurs sont tous formidables et entourent un Michel Fau à la fois histrion et pauvre hère, capable de passer d’une emphase ridicule à un cri de rage et de douleur, sans forcément attirer la sympathie du spectateur. Cette farce cruelle fait beaucoup rire et le paysan Lubin (Florent Hu) est bouffon à souhait. Elle s’apparente souvent à une commedia dell’arte au vitriol et s’achève bien amèrement quand Dandin ne trouve refuge que dans l’alcool, dans un hymne final à Bacchus signé Lully et entonné par tous les interprètes.
Au bout du compte, le seul qui tire son épingle du jeu, c’est l’amour qu’on ne peut acheter, sans oublier le combat, féministe avant l’heure, de la jeune épousée (superbe Alka Balbir) !
Michel Fau est un acteur hors pair et un grand metteur en scène toujours capable de se réinventer, passant de Ciboulette de Reynaldo Hahn à l’Opéra-Comique (inoubliable) à un Wozzeck bouleversant à Toulouse et enfin à ce rutilant George Dandin qui va à présent parcourir les routes de France, comme Molière autrefois. A ne pas rater !