Gioachino Rossini (1792 – 1868)
L’ITALIANA IN ALGIERI
Dramma giocoso per musica in due atti
Texte de Angelo Anelli
D’après un livret de Luigi Mosca
Mise en scène, Nigel Lowery et Amir Hosseinpour
Décors et costumes, Nigel Lowery
Lumières, Franz Peter David
Chorégraphie, Amir Hosseinpour
Mustafa : Lorenzo regazzo
Elvira : Christiane Kohl
Zulma : Simone Schröder
Haly : Valery Murga
Lindoro : Antonino Siragusa
Isabella : Vesselina Kasarova
Taddeo : Arttu Kataja
Staatskapelle de Berlin
Choeur du Staatsoper
Chef du chœur, Eberhard Friedrich
Direction musicale, Ottavio Dantone
Berlin, 18 décembre 2008
Gags à gogo
L’Italiana in Algieri ? C’est l’histoire d’un homme qui s’ennuie avec sa femme, il ne la supporte plus, ni ses favorites qui essaient en vain de l’exciter par leurs danses quand elles ne sont pas occupées dans des locaux surmontés de lumières rouges, signalés par l’inscription « girls » sur de grands panneaux. Une Italienne échouée sur la plage va le sortir de son marasme ; d’abord parce que changement d’herbage etc… et puis parce que sous l’aspect bcbg il a reconnu la dominatrice qu’il attendait ; elle va lui mettre des couches, lui donner la fessée et le biberon, et après lui avoir fait gober un bobard qui flatte sa vanité – c’est un homme – elle se sauvera avec le technicien de surface qu’elle était venue retrouver.
C’est probablement ainsi que Nigel Lowery et Amir Hosseinpour raconteraient l’œuvre et c’est probablement ce qu’en auront retenu les enfants présents à une représentation qu’il faut bien appeler triomphale par les ovations et les rappels debout qui en ont salué la fin. Fidèles à la méthode qu’ils avaient employée dans un Rinaldo de sinistre mémoire, les metteurs en scène travaillent à nourrir les situations indiquées par le livret de gags qui valident leur option, sans se soucier outre mesure de la cohérence, (cf. le bataillon de gardes féminines). Cette recherche incessante débouche sur des trouvailles qui témoignent de leur invention et de leur talent, mais dans cet enchaînement d’effets le final du premier acte perd de sa force tant il a été précédé d’événements scéniques : voleur récidiviste, repas subrepticement jeté à la poubelle, déshabillé sexy d’Elvira, danses lascives du bataillon déjà cité, marionnette double de Taddeo littéralement empalée… Comment leur donner tort devant l’enthousiasme du public ? En disant qu’ils violentent l’esprit de l’œuvre en forçant ainsi le trait ? On rougit de l’avoir pensé.
Les chanteurs accomplissent sans réserve les extravagances qui leur sont demandées, au premier rang desquelles Mustafa devenant à la vue d’Isabella un chien bavant et jappant. En tête de la distribution, Vesselina Kasarova, une star en ces lieux. Agréable surprise de la découvrir extravertie et piquante comme le personnage le requiert, mais sa prestation vocale, chaudement acclamée, nous laisse perplexe. Sans doute l’agilité est toujours là et par instant le timbre retrouve sa séduction veloutée, mais l’abus de graves caverneux donne une impression d’hétérogénéité sonore pour nous fort peu séduisante. Quelques réserves aussi pour le Lindoro d’Antonino Siragusa ; peut-être à cause d’une migraine, une émission d’abord très joliment nuancée s’est enflée jusqu’à l’excès, avec pour conséquence des aigus émis laidement en force sans nécessité, l’acoustique et la musique n’en demandant pas tant. Mais le public a beaucoup apprécié. Troisième triomphateur, et bien à juste titre, Lorenzo Regazzo, dont nous avons pu apprécier à quel point il a mûri le rôle. Désormais dans la plénitude de ses moyens d’acteur et de chanteur, il recueille les fruits de la sagesse avec laquelle il a conduit sa carrière et laissé sa voix s’élargir et s’assombrir naturellement ; il enchante par l’impression de facilité qui se dégage de son interprétation. Ses capacités techniques font de son chant une démonstration superlative des exigences rossiniennes relatives à l’agilité, à la rapidité et à l’élégance, et sa verve comique, exactement dosée, donne au personnage une saveur délectable.
Bonnes prestations également pour Christiane Kohl, Elvira maladroite et appétissante – mais comme disait le général Bigeard : « du bifteck tous les jours… » – Valery Murga, Haly physiquement impressionnant et Arttu Kataja, baryton clair dont la prononciation de l’italien laisse à désirer. Chœur efficace et mention spéciale pour les danseuses, qui animent avec fougue la chorégraphie divertissante conçue par Amir Hosseinpour.
Mais la merveille était dans la fosse : la première Italiana d’Ottavio Dantone rejette dans l’ombre mainte interprétation de chefs plus chevronnés dans ce répertoire. Secondé par les prestigieux musiciens de la maison, il fait de l’ouverture un chef d’œuvre de transparence et de raffinement, aussi éloigné de certaines hystéries que d’alanguissements narcissiques, dans un équilibre des tempi et un dosage des couleurs proprement enchanteurs. Or cette prouesse sera poursuivie sans la moindre défaillance jusqu’au bout de l’ouvrage, ce travail de ciseleur ne nuisant jamais au mordant ou à l’élan des ensembles. Quel bonheur d’entendre la musique de Rossini servie si lumineusement ! Bravo Maestro !
Maurice Salles