Les Voyage d’Hiver se suivent et ne se ressemblent pas. Au lendemain de la triste prestation de Ferruccio Furlanetto au Palais Garnier, le Théâtre de l’Athénée, à quelques centaines de mètres, proposait l’interprétation d’une autre basse, Nahuel Di Pierro. Si l’on sait, depuis les versions transies de Hans Hotter, tout ce que cette tessiture peut donner au cycle de Franz Schubert, l’on ne connaissait pas les affinités avec le Lied du chanteur de ce soir (récemment remarqué dans Dardanus après un Arbre inquiétant dans L’Enfant et les Sortilèges dirigé par Salonen à la Philharmonie).
La découverte convainc rapidement : si elle dispose déjà d’une belle assise dans le grave, qui pare les sinuosités de la première strophe de « Die Krähe » de saisissantes couleurs, la voix, encore jeune, dessine un portrait crédible d’amoureux éconduit. Non dénué de fougue (« Erstarrung », « Der stürmische Morgen »), cet amoureux n’en reste pas moins d’une tenue irréprochable : le lancinant crescendo qu’est « Wasserflut », les contrastes épineux de « Frühlingstraum » sont menés sans la moindre entorse au bon goût, ni à la ligne de chant, s’appuyant avec bonheur sur un allemand éclairé. C’est sans accroc que ce voyage suit son cours, et le critique tatillon s’apprêterait presque à déplorer, dans cette très belle soirée de chant, un léger manque de fantaisie, si Nahuel Di Pierro ne la concluait par un surprenant « Leiermann », point d’orgue lumineux et presque optimiste de ce long parcours.
Au piano, le jeune Alphonse Cemin peut déjà compter sur une solide expérience dans le domaine de la mélodie pour se révéler un partenaire infaillible, dont on aimerait, tant qu’à faire, un soupçon de nuances supplémentaires. Mais aucune réserve n’entame la réussite de la soirée. Habituellement groggy au sortir d’un Voyage d’Hiver, on en redemande. Familier du rôle de Colline, Nahuel di Pierro offre alors un superbe « Vecchia zimarra », pour réchauffer les longues soirées d’hiver…