Alors que le palmarès du 50e Concours international de Chant de la Ville de Toulouse est déjà communiqué, voici quelques échos de la soirée. Un mot d’abord pour éclairer ceux qui s’étonneraient qu’une compétition créée en 1954 célèbre cette année ses cinquante ans : reporté en 1973 et 1995, l’évènement est devenu bisannuel depuis 1996. Comme à chaque édition, le public est particulièrement nombreux et attentif, d’autant que depuis 2012 le prix du Public a été rétabli et permet donc aux juges anonymes de valider ou de corriger la décision des juges célèbres. Cette année encore le jury est particulièrement impressionnant, tant il réunit de décideurs susceptibles d’aider les concurrents au développement de leur carrière. Viorica Cortez (1964) et Dmitri Hvorostovsky (1988) témoignent dans le programme de l’importance qu’eut à cet égard leur premier prix à Toulouse. On peut pourtant être sûr que des applaudissements qui saluent l’apparition du jury au premier rang du balcon les plus chaleureux vont à la présidente, la chère Teresa Berganza, qui les reçoit avec une simplicité royale.
Le déroulement de la cérémonie est immuable. Le rideau à l’italienne est à demi-relevé et le double drapé formé encadre un fond de ciel tourmenté, devant lequel trône le piano à queue où les pianistes se succèderont pour accompagner les mélodies, lieder, ou extraits d’oratorio, l’accompagnement des airs d’opéra étant réservé à l’orchestre. Un ordonnateur sérieux comme un pape préside aux annonces et règle entrées et sorties avec une scrupuleuse vigilance, prêt à remettre promptement et fermement sur le droit chemin qui s’égarerait de quelques pas, comme Teresa Berganza en fera l’expérience au moment de la remise des prix. L’assistance informée du déroulement de la soirée, David Syrus, déjà là en 2012, entre dans la fosse, et tout le monde se lève pour La Marseillaise.
Cent-quatre-vingt-un inscrits, quatre-vingts participants, douze finalistes. Les concurrents qui vont défiler dans l’ordre déterminé par le tirage au sort ont franchi le barrage des trois sélections et de la demi-finale. Le premier est un ténor coréen, Myong-Hyun Lee, qui n’hésite pas à s’agenouiller pour « Tombe degli avi miei…fra poco a me ricovero » tirant l’air d’Edgardo vers un vérisme démesuré, et dont le Der Kuss de Beethoven ne nous a pas convaincu. Lui succède Marion Lebègue, mezzosoprano française. Après un lied de Berg, « Dämmern Wolken » tout en finesse elle déploie une grande voix lyrique , avec beaucoup de moelleux et un aigu final percutant dans l’air de Sapho « O ma lyre immortelle ». Le jury l’a-t-il rêvée comme nous en interprète des opéras français qui réclament largeur de la voix, longueur du souffle et fermeté noble ? Il la couronne du Premier Grand Prix Femme, sous les ovations du public. Rien en revanche, hormis le diplôme de finaliste qui sera remis aux concurrents absents du palmarès, pour la basse chinoise Xiahoan Zhai, dont le timbre profond, la projection vigoureuse et le volume remarquable nous ont impressionné, moins dans « La vague et la cloche » de Duparc, où il fait pourtant montre d’un tempérament dramatique affirmé qu’il confirme dans le « Studio il passo, o mio figlio » de Macbeth. Rien non plus pour Narea Son, soprano sud-coréenne dont « Nous venions de voir le taureau » tiré des Filles de Cadix souffre d’un français appliqué et dont le « Bel raggio lusinghier » démontre une agilité indéniable mais une inadéquation vocale et une interprétation défaillante tant la souveraine de Rossini tend vers la soubrette pépiante, malgré le soutien attentif de David Syrus. Lui succède le ténor tchèque Petr Nekoranec, le benjamin puisqu’il a à peine 22ans depuis le mois de mars ; son « O might those sighes and teares » de Britten est un choc, tant la voix sonne nette, claire, fraîche, et l’interprétation sensible. Malheureusement – c’est notre point de vue – son « Ah mes amis quel jour de fête ! » n’aura pas la même pureté, comme si un rhume naissant l’entachait de nasalités sans toutefois compromettre l’émission des aigus. Le jury lui décerne le Deuxième Grand Prix Hommes, à la satisfaction générale. Dès qu’Angélique Boudeville ouvre la bouche, l’opulence du timbre est celle d’un vrai soprano lyrique. Mais, et c’est peut-être pourquoi elle n’obtient que le Troisième Prix Femme, l’interprétation de « Nuit d’étoiles » de Debussy et de « Dove sono » des Nozze di Figaro est plus appliquée que prenante et le souci du beau son tend à ramollir légèrement l’articulation. Nulle contestation dans le public.
Voici le tour d’un autre ténor sud-coréen, Junghoon Kim, dont le moins qu’on puisse dire en le voyant est qu’il a du coffre. Et il le prouve, d’abord dans « Stell’auf den Tisch » de Richard Strauss, néanmoins assez nuancé, et surtout dans un « Nessun dorma » dont le « Vincero » final est si percutant qu’il en fait oublier à quelques-uns la règle sacro-sainte : on n’applaudit pas ! L’amplitude, la virilité du timbre, l’éclat de la projection, la production de demi-teintes, autant de qualités qui lui valent de recevoir le Premier Grand Prix Hommes à l’unanimité du jury, sur la même longueur d’onde que l’assistance puisqu’au vote effectué pendant la délibération il remporte également le Prix du Public. La soprano israélienne Hila Fahima qui remporte le Deuxième Grand Prix Femmes le méritait-elle ? Aucun désaccord ne s’élève…Pourtant la vocalise sur « Et incarnatus est » de la Messe en ut mineur de Mozart n’avait pas pour nous le caractère sublime que nous attendons ; mais avec son « Quel guardo il cavalier » elle campe une Norina piquante, à la voix brillante, homogène et sonore digne de lauriers. Ankhbayar Enkhbold, baryton mongol, repart bredouille : ni sa mélodie de Rachmaninov ni le « Nemico della patria » d’Andrea Chénier n’ont suffi à l’imposer, malgré des aigus faciles et une interprétation pénétrée. C’est aussi le cas de la soprano canadienne Heather Newhouse, dont ni « Ihr Mund ist stets derselble » de Richard Strauss ni « Sul fil d’un soffio etesio » de Falstaff, n’emportent l’adhésion, tant la fraîcheur sonne fabriquée pour l’un et la prononciation laborieuse pour l’autre. Au tour d’un ténor chinois, Yu Shao, pour une mélodie de Schumann, avec David Zobel au piano. Et d’emblée on retient son souffle : non seulement la voix est belle, à la fois douce et mâle, mais ce chanteur est un artiste, car l’épreuve imposée devient, grâce à sa sensibilité, ce qu’elle devrait toujours rester, un pur moment musical. Et à peine a-t-on repris haleine qu’on est bluffé par la qualité d’une diction qui garde à la romance de Mylio le moindre de ses charmes. Un aigu un peu serré a-t-il suffi pour que le jury ne lui accorde que le Troisième Prix ? Une large partie du public a protesté vigoureusement, de la manière la meilleure, en l’applaudissant très, très longuement. Dernier de la liste, Myeongjun Shin, basse sud-coréenne, exhibe des graves sépulcraux mais ne parvient pas à faire vivre « Der Tod, das ist die Hühle nacht » de Brahms, ni « A te l’estremo addio » de Simone Boccanegra et ne figurera pas au palmarès.
Pendant la délibération du jury, le public a pu voter pour le concurrent de son choix et comme il lui reste à attendre la proclamation des résultats les pronostics vont bon train, à grand renfort de haussements d’épaules – Non mais, qu’est-ce qu’il faut pas entendre ! – et de comparaisons avec les éditions passées. Enfin la sonnerie retentit. On se précipite…et vous savez la suite. Les prix sont remis par des représentants des sponsors (le Centre Français de Promotion Lyrique), de la Ville de Toulouse, du Conseil Général de la Haute-Garonne et par la Présidente du jury pour les Deux Premiers Grands Prix, et c’est à cette occasion que Teresa Berganza sera remise à sa place, au sens propre, par l’inflexible organisateur. Le même, infatigable défenseur de la tradition, tentera d’entraîner l’assistance dans La Tolosenca, hymne de la ville de Toulouse dont le texte est en occitan. Notre mémoire est-elle en défaut ? Il nous a semblé qu’en 2012 la réponse de la salle était largement plus massive et plus franche…Tout se perd !
Tandis que la salle se vide les happy few se rendent au foyer où un buffet a été dressé. On va y attendre les finalistes, au premier rang desquels les lauréats. Ce moment que les mondanités rendent souvent si frivole ou si insincère sera transformé par la présence discrète de Nicolas Joel, que ses amis ont déjà assailli dans la salle et qu’ils retrouvent avec émotion. Et évidemment par le cadeau de recueillir, de la bouche d’une Teresa Berganza que le temps a griffée mais qu’il n’a pu priver de sa vivacité gracieuse et espiègle, au moment de son départ, cette confidence : « Je suis heureuse ! » Nous n’avons pas voulu d’autre conclusion et avons quitté la fête nous aussi. Longue vie au Concours de Chant de Toulouse !