Dix-sept finalistes parmi cent-quarante candidats de soixante-trois nationalités différentes, eux-mêmes sélectionnés lors d’auditions réalisées dans soixante villes du monde entier… Il n’y a pas de secret : c’est en allant chercher les talents à la source que cette 33e édition du Hans Gabor Belvedere International Singing Competition (Belvedere pour les intimes) parvient au niveau de qualité constaté dimanche 6 juillet à l’Opéra de Düsseldorf. Première surprise : la compétition n’est pas trustée par les coréens comme à chaque fois dans les concours de chant internationaux mais par les sud-africains (quatre au total, soit plus de 20% de la sélection) soutenus chaleureusement dans la salle par une poignée de supporters. Deuxième surprise : la direction d’Axel Kober, empathique, fait de la soirée non pas un examen scolaire mais un véritable moment de musique. Pour éviter d’en transformer le compte rendu en un fastidieux passage en revue des dix-sept prétendants aux multiples prix offerts, procédons par catégorie.
Il y a d’abord – et ce sont les plus nombreux – les dévoyés, ceux qui audiblement n’ont pas choisi le bon air. Que Norma Nahoun envisage un jour de chanter Mimi, pourquoi pas ! Mais celle qui fut il y a moins de trois mois Nanetta à l’Opéra de Tours n’aurait-elle pas meilleur compte à commencer par Musetta ou par tout autre rôle mieux adapté à son soprano léger ? Marina Costa-Jackson propose Nedda quand la nature dramatique de sa voix suggère Santuzza. Entre Bacchus qu’il a interprété cette année à la Stockholm Opera School et Ferrando qu’il étudie, Khansiyo Gwenxane devra choisir. En attendant, « Una furtiva lagrima » manque brutalement de legato, de demi-teintes et donc de poésie. Sa compatriote Linda Nteleza doit d’abord dompter des moyens prometteurs avant de poursuivre sa découverte de Micaela. « Je dis que rien ne m’épouvante » ne s’avèrera alors peut-être pas la meilleure réponse aux questions posées par ce chant encourageant mais mal maîtrisé. Oddur Jonson a lui aussi quelques étapes â franchir avant de se confronter à Posa dont il offre aujourd’hui une trop pâle figure.
Il y a aussi les timides, trop réservés pour capter l’attention, telle Akiho Tsuji, soprano japonaise qui, les yeux mi-clos, délivre un « Ach, ich fühl’s » marqué d’un rictus amer, ou Stephen Chambers, charmant ténor di grazia néo-zélandais, coupable de raideurs dans la vocalisation et surtout d’un excès de discrétion.
À l’opposé se trouvent les bateleurs dissimulant par de multiples artifices scéniques les carences de leur chant. La tactique est souvent payante. Pétillante, Maria Nazarova masque l’acidité du timbre et l’absence de trille sous des clins d’œil fripon. Siyabuleta Ntlale ensevelit sous un véritable numéro de cirque les défauts de souffle et de grave. Son Falstaff, ventre en avant et mimiques appuyées, n’a rien d’un lord mais le baryton emporte le deuxième prix. Le Basilio du coréen Il do Song ne fait pas davantage dans la dentelle. L’air de la calomnie se présente dès les premières notes comme un coup de canon qui semble avoir assourdi le jury. Il repart avec le troisième prix.
Siyabulela Ntlale © Susanne Diesner
Il y a le redoublant : Owen Metsileng. Malheureusement, Malatesta émis en arrière ne convainc pas plus que Figaro l’an passé à Amsterdam.
Il y a les expérimentés qui ont déjà éprouvé leur rôle sur scène : Caroline Garcia dont la Rosine commentée dans ces mêmes colonnes se montre tellement préoccupée de technique qu’elle en néglige le personnage et Ben Mcateer, Almaviva rageur, à l’indéniable prestance vocale et scénique, injustement oublié dans la liste des primés.
Il y a les indéchiffrables, celles dont le chant laisse perplexe. Kiri Deonarine compte à son actif Lakmé, Olympia, Zerbinetta… Sa Lucia n’est pourtant ni agile, ni légère, ni évanescente mais trémulante. La blondeur walkyrienne de Lori Guilbeau la proclame wagnérienne. Les écarts de justesse et le vibrato de « Dich, teure Halle » affirment le contraire.
Puis il y a les gagnantes, au nombre de deux, qui incontestablement raflent la mise. Avec « Tacea la notte », l’aria di sortita de Leonora dans Il trovatore, Irina Churilova conquiert le public et le jury. Quoi d’étonnant ! La voix éblouit par sa dimension, sa rondeur, ses couleurs, sans que son ampleur n’entrave la nuance. L’impression de force et de douceur que dégage le chant, la beauté du phrasé, le chatoiement du timbre dessinent le portrait d’un authentique soprano verdien, espèce ô combien rare, et donc précieuse. Seule inquiétude, l’aigu, émis systématiquement forte, marque déjà une limite qui pourrait vite devenir rédhibitoire.
La presse internationale lui a préféré, à un vote près, Siobhan Stagg. Pourquoi ? La voix certes n’a pas autant de chair que celle de sa consœur russe mais la pureté d’émission est incomparable. A cette limpidité, s’ajoutent l’insoupçonnable légèreté d’un aigu au volume contrôlé, la précision et l’émotion qui jaillit, radieuse, à l’image des mots répétés par la chanteuse australienne dans cet air de Louise auquel elle doit son succès : « je suis heureuse ». Ce bonheur est contagieux.
Palmarès :
- Premier prix : Irina Churilova, Soprano, Russe
- Deuxième prix : Siyabutela Ntlale, baryton, Afrique du Sud
- Troisième prix : Il Do Song, basse, Corée du sud
- Prix de la presse internationale : Siobhan, Stagg, soprano, Australie
- Prix du public : Irina Churilova, Soprano, Russe
Les autres prix sont détaillés sur www.belvedere-competition.com.