Pour sa dernière saison, le Garsington Opera offre à nouveau au public britannique une première avec la création scénique au Royaume-Uni de l’Armida de Rossini. Une initiative heureuse et courageuse car l’ouvrage reste rare et les références parfois intimidantes. Callas y fut grandiose, dans un témoignage d’une qualité sonore malheureusement pitoyable ; dans les années 70, Cristina Deutekom ne semblait s’y intéresser que pour la virtuosité du rôle ; plus près de nous, Katia Ricciarelli à Venise tenta d’y retrouver un second souffle pour sa carrière, mais la tentative venait tardivement (1985) ; June Anderson aurait pu être une magicienne idéale, mais à Aix en 1988, elle dut subir une mise en scène indigne qui sembla lui retirer toute motivation : une occasion d’autant plus ratée qu’elle bénéficiait, en la personne de Rockwell Blake, du meilleur Rinaldo moderne ; en 1990, ce fut au tour de Cecilia Gasdia, cette fois, face à Chris Merritt, de tenter de relever le challenge : un timbre unique, des vocalises confondantes de rapidité, mais une projection qui manquait d’autorité et qui ne lui permettait pas de rendre pleinement justice au rôle ; dernière grande prise de rôle notable, celle de Renée Fleming, déjà un peu hors de propos à Pesaro en 1993 où sa fraicheur suffisait à nous séduire, mais franchement déplacée en 2010 au Metropolitan Opera de New-York (lire notre compte-rendu).
Sans pouvoir rivaliser avec de telles gloires, Jessica Pratt n’en assume pas moins crânement la tessiture d’un rôle réputé inchantable. Le timbre corsé, un peu sombre, convient bien à la magicienne et rend encore plus spectaculaires des suraigus émis avec une libéralité certaine. Le récitatif est autoritaire mais la voix sait aussi négocier de beaux piani. Dramatiquement, c’est une Armida autoritaire, séductrice manipulatrice, plutôt qu’amoureuse. Les ornementations sont respectueuses du style, à l’exception notable d’un spectaculaire contre mi bémol final, peu rossinien, mais particulièrement décoiffant.
Armida pose un problème de taille puisque l’ouvrage réclame 6 ténors aigus, dont un seul qui ne soit qu’un rôle de comprimario. Ici, 3 ténors se partagent 5 rôles particulièrement difficiles à distribuer en raison de la hauteur de leurs tessitures, et il faut reconnaître que Garsington a une fois de plus eu la main heureuse (c’est à ce festival que nous devons les débuts européens de Colin Lee, artiste que nous pouvons entendre en ce moment même au Palais Garnier dans La Donna del lago)
Victor Ryan Robertson campe un beau Rinaldo pour lequel on regrettera seulement un timbre un peu banal et une légère tendance à « couiner » certaines attaques. Sa grande scène de duel « Se pari agli accenti » avec le catalan David Alegret, au timbre plus riche et pratiquement aussi à l’aide dans l’aigu, est un pur moment de jouissance musicale. Elle voit nos deux ténors échanger deux contre-ut à l’exposition, puis pour la reprise, un do tenu près de 10 secondes par Alegret auquel répond un ut suivi d’un ré de la part de l’américain ! Le ténor roumain Bogdan Mihai est sans doute celui des trois qui dispose de la voix la plus homogène ; l’artiste est un peu plus placide mais davantage musical. Impossible, en tous cas, de départager ses trois excellents chanteurs, aux qualités diverses, mais tous impeccables. On les retrouve pour un trio final « La tromba della fama » absolument électrisant. Une véritable apothéose vocale où l’on n’arrive même plus à compter les contre-notes !
Dernier ténor de la production, Nicholas Watts n’a qu’un rôle secondaire, mais les qualités qu’il déploie sont déjà une promesse. Seul point un peu faible de la distribution, la basse Christophoros Stamboglis peut s’enorgueillir d’une « grosse » voix mais c’est à peu près tout.
Spécialiste de ce répertoire, David Parry est la démonstration de ce qu’un bon chef et un orchestre motivé peuvent apporter à ce type de musique. Une direction à la fois extrêmement vive et attentive aux chanteurs, un ensemble, aux sonorités un peu sèches mais d’une précision parfaite, c’est ce qui fait toute la différence avec les tacherons que nous devons souvent subir. A noter néanmoins, la coupure du long ballet qui clôt théoriquement l’acte II, malheureusement difficile à concevoir en ces lieux, tant techniquement que financièrement.
Les chœurs, en particulier masculin, sont tout simplement parfaits par leur jeunesse, leur engagement et leur excellente préparation technique.
La mise en scène de Martin Duncan propose un parti pris un peu distancié, mais bizarrement dépourvu de l’humour habituel des productions de Garsington : une esthétique japonisante pour le monde des chevaliers et une vision résolument moderne (avec des démons qui font penser à Avatar) pour l’univers de la magicienne.
Petit pincement au cœur tout de même, à l’issue de ce spectacle, car c’était la dernière fois que nous goutions aux charmes si britanniques des jardins du manoir. Rendez-vous dorénavant à Wormsley pour une nouvelle vie de ce festival.