La Lorraine porte son regard vers l’est en ce début d’année 2018. Après une nouvelle production de Katia Kabanova à Nancy, Metz confie Eugène Onéguine à Pénélope Bergeret, metteuse en scène et chorégraphe.
Ancienne danseuse du Ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, elle délivre un travail millimétré aux scènes de bal et de fêtes populaires hautes en couleurs. La danse y trouve naturellement toute sa place grâce à la présence de jeunes élèves du conservatoire de Metz et de danseurs professionnels. L’esthétique globale est d’un classicisme élégant. L’attention portée aux costumes installe chacun dans son rang social en même temps qu’elle sert un folklore qui jamais ne sombre dans le kitch. Les grandes portes en bois vitrées du décors unique permettent, grâce à un éclairage intelligent et à quelques pièces de mobilier raffinées, de construire les sept tableaux du drame, qu’ils soient intimes ou publics. Surtout, Pénélope Bergeret apporte un attention de tous les instants à la direction d’acteur : les badineries entre les deux soeurs (Olga virevoltante, Tatiana statique) ; la complicité de Larina et Filipievna travaillée scène après scène ; le choeur toujours mobile et concerné tout comme la multiplication de petites saynètes (Monsieur Triquet grand timide du bal par exemple) construisent un tableau complet, traditionnel et non ambivalent, de l’oeuvre de Tchaikovski.
Dommage que ce remarquable travail d’esthète ne soit qu’en partie suivi à l’orchestre. Certes l’acoustique sèche de la salle constitue un premier obstacle. La direction peu souple de Benjamin Pionnier n’aidera pas à en venir à bout. Au global, la partition est jouée sur un train allant, dans un mezzoforte généralisé. Le tout manque de contraste et de rupture même si cela n’empêche pas quelques beaux moments où enfin le lyrisme vient caresser les violons et les bois : la scène de la lettre, les airs de Lenski et de Grémine et le duo du dernier tableau.
Demi-teinte également sur le plateau, à commencer par le Choeur de l’Opéra-Théâtre capable du meilleur (l’anniversaire de Tatiana) comme du franchement passable (la première scène). Lars Piselé épouse l’idée de la mise en scène qui fait de Triquet un grand timide mais il semble que la voix soit un peu étroite dans le refrain du couplet. Un problème que n’a pas Misha Schelomianski, Grémine humain dont le grave profond possède toute la chaleur que l’on peut attendre de ce vieil amoureux. Marie Gautrot (Larina) et Cécile Galois (Filipievna) disposent toutes les deux d’un très beau matériau. Le timbre un rien granulé de cette dernière confère un charme immédiat à son personnage de marraine-la-bonne-fée. A l’inverse, Julie Robard-Gendre croque une Olga onctueuse et opulente. Jonathan Boyd en Lenski est plus à l’aise avec la fougue amoureuse ou colérique de son personnage qu’avec son versant poétique. Son air du deuxième acte, irréprochable techniquement, manque de nuances et d’abandon. Isabelle Cals revêt les habits encore trop larges de Tatiana. Si la scène de la lettre montre toute l’évolution psychologique et les doutes du personnage, le registre aigu, trop tendu, commence à vaciller et surtout à s’acidifier. Le dernier tableau, encore plus dramatique, finira de mettre de mettre la soprano en porte-à-faux. David Bizic relève le gant avec brio du rôle ingrat d’Onéguine, pour lequel Tchaikovski n’a pas écrit d’air qui donne chair à ce personnage complexe. C’est par la présence et le charisme, la couleur et l’autorité que l’interprète fait vivre son personnage dans les scènes collectives et les face-à-face. Et le baryton serbe se coule aussi bien dans la morgue et le port du jeune aristocrate qu’il fend l’armure dans la passion et la folie du dernier tableau.