A l’entrée de l’Athénée, une charmante hôtesse distribue des badges au cœur rouge « I ♥ Bach » (et pourquoi pas « J’♥ Bach » ? en disant à chacun « Vous aimez Bach ? alors agrafez ce badge ! ». Or tout le problème est là : quand on aime Bach, peut-on apprécier le spectacle proposé ce soir ? Pourtant, l’idée de mettre en scène Bach était plutôt pleine de promesses ; en effet, alors qu’il n’a composé aucun opéra, de nombreux passages de ses œuvres paraissent pouvoir convenir particulièrement bien à la scène. Mais pour concrétiser cet intéressant concept, certainement aurait-il fallu une autre équipe et d’autres moyens, et surtout un argument plus solide et novateur. Car le fait de réduire Bach « à un repas de famille d’aujourd’hui au cours duquel se rejouent les enjeux de trahison de la Passion » est quand même bien léger. « L’un d’entre eux trahira » dit Saint Luc ? Quel suspens !
Les Passions de Bach sont parmi les œuvres les plus sublimes du répertoire musical mondial. Mais si Bach avait voulu en faire des opéras, il l’aurait fait. Après tout, les grands théâtres de la Passion étaient légion en pays germaniques (voir par exemple Oberammergau dont le spectacle remonte à 1633). De là à vouloir transposer ce type d’argument dans notre monde d’aujourd’hui, pourquoi pas, mais en respectant au moins la musique. Or, que nous est-il donné à voir ? L’adaptation d’Alexandra Lacroix et François Rougier est certainement très brillante et pleine d’intelligence sur le papier, ou comme jeu intellectuel, mais pas sur scène. Car la mise en scène de la première reprend simplement les lieux communs théâtraux les plus éculés, que l’on a déjà vus cent fois depuis les années 50. A poil dans sa baignoire, Ponce Pilate prend son bain : « je m’en lave les mains, et le reste aussi » semble-t-il dire… Et tout est de la même eau, au point qu’au bout d’un moment, on ne sait plus très bien si l’on est dans un asile de fous (le Christ en caleçon emberlificoté dans ses draps paraît prisonnier d’une camisole de force, des gens marchent en tous sens en criant, riant ou parlant sur la musique), ou à la représentation de fin d’année de la troupe paroissiale de Trifouilli-les-Oies mise en scène par Mademoiselle Lelongbec.
© Vincent Brugère
Musicalement parlant, les Passions de Bach sont parmi les œuvres les plus difficiles. Et de toute évidence, aussi bien les instrumentistes que les chanteurs sont quelque peu dépassés par l’ampleur de la tâche, sans pourtant démériter car il nous est donné d’entendre de jolis passages extraits des Passion selon Saint Jean, selon Saint Matthieu, et aussi de la rarement jouée Passion selon Saint Marc. Christophe Grapperon lui-même semble suivre plutôt que diriger, et est visiblement plus à son aise avec Offenbach. Côté acteurs, c’est plutôt mieux, et Simon Pitaqaj, en particulier, se démène avec efficacité. Mais que tout cela est brouillon et en inéquation avec les situations. Là où l’on aurait aimé du hiératisme pour apprécier la partie musicale, on est noyé dans un fatras indescriptible et prétentieux. Exercice de style, recherche théâtrale, pourquoi pas ? Mais pas avec les Passions de Bach.
Allez, en sortant de ce pensum, on n’a d’autre échappatoire que de relire le bel article de Sylvain Fort sur le CD de La Passion selon Saint-Matthieu dirigée par René Jacobs : tout y est dit.