Un simple coup d’œil sur les programmes de Bayreuth et de Munich cet été suffira à s’en convaincre : la Colline est de moins en moins inspirée. Pour sentir le vent du chant wagnérien souffler dans les branches du Walhalla, mieux vaut préférer la capitale de la Bavière à celle de la Haute-Franconie. On a pu le vérifier au Théâtre du Champs–Elysées où était proposée en version de concert une Walkyrie majuscule, extraite du Ring qui sera représenté par deux fois dans son intégralité au Bayerische Staatsoper en juillet.
A la direction d’orchestre, Kent Nagano se révèle meilleur portraitiste que paysagiste. On a connu chevauchée plus échevelée et scintillements de flamme plus magiques. Le récit n’en est pas moins vivement mené, avec un sens des couleurs et de la dynamique qui laisse l’auditeur suspendu à la baguette du chef. Curieusement, le Bayerisches Staatsorchester n’est pas exempt de tout reproche. Plusieurs dérapages côté vents surprennent de la part d’une formation aussi prestigieuse On avait le souvenir de cuivres plus glorieux dans Parsifal au même endroit l’an passé (voir recension). Ces quelques tâches sur l’écran sonore n’altèrent cependant pas l’impression d’image haute définition.
Face au mur dressé par Nagano et son ensemble, Thomas J. Mayer rachète un Wotan en mal de présence au deuxième acte par une endurance à toute épreuve au troisième. Comme on avait pu le remarquer dans cette même œuvre à l’Opéra de Paris il y a deux saisons (voir recension), la voix n’est pas des plus saillantes mais l’énergie avec laquelle le dieu trahi laisse exploser sa colère force l’adhésion. Si l’on a l’impression que son baryton pèche par défaut de volume, c’est aussi parce que les chanteurs réunis autour de lui rivalisent de puissance. Ain Anger notamment est un Hunding terrifiant de projection, une sorte de Hulk au pays des basses. En Siegmund, Lance Ryan n’est pas non plus avare de décibels. Peut-on pour autant parler d’héroïsme ? Plus la soirée avance et plus l’intonation devient hasardeuse ; la clarté du timbre tire la composition vers Siegfried et, la fatigue aidant, certaines nasalités évoquent davantage Mime que le fils de Wotan.
La Sieglinde superlative d’Anja Kampe ne fait qu’une bouchée de ce Siegmund ambigu tout comme la Fricka de Michaela Schuster n’a aucun mal à écraser de sa stature royale le Wotan de Mayer. Juste dosage des effets, entre acrimonie, science du mot et séduction, pour la deuxième ; voix intensément lyrique, sans coutures apparentes, ample, et dense sur toute la longueur, pour la première qui se taille un beau succès au moment des saluts. Juste après Nina Stemme, très attendue en Brünnhilde, un rôle où elle apparaît aujourd’hui incomparable. Le cri d‘entrée sur lesquels trébuchent tant de sopranos, les écarts de registre auxquels l’exposent la partition ne semblent pas affecter un chant qui, comme toujours, coule de source, basaltique et indéfectible. Majestueuse, l’interprétation peut paraître entravée dans son mouvement par trop de solidité, comme figée dans le marbre d’une voix que rien ne semble affecter. Certains y verront de la placidité, imputable à l’absence de mise en scène. D’autres – et nous en faisons partie – expliqueront cette noblesse imperturbable par le caractère même de Brünnhilde dans ce deuxième épisode de la saga wagnérienne : vierge guerrière, assoiffée de vaillance et non encore femme amoureuse et vulnérable. Qui a tort, qui a raison ? Pour en avoir le cœur net, rendez-vous à Munich les 8 et 15 juillet prochains. Nina Stemme y sera de nouveau Brünnhilde mais cette fois dans Götterdämmerung. On prendra alors la mesure du feu qui couve sous la glace.