Vous ne connaissez pas le festival d’opéra de Heidenheim (Opernfestspiele Heidenheim, « OH ! » pour les intimes) ? Vous êtes tout excusé ; Heidenheim, petite ville sans attrait particulier est coincée entre le Bad-Würtemberg et la Bavière, son festival lui-même est cerné par ceux de Munich, Bregenz et Bayreuth qui se déroulent en même temps, c’est dire si la concurrence est sévère.
Cela n’a pas empêché Marcus Bosch d’y bâtir, depuis une dizaine d’années, pierre à pierre, un festival qui promette et qui tienne ses promesses. En réalité, on donne depuis 1969 (Bastien und Bastienne) des opéras en plein-air dans les ruines magnifiquement restaurées du château de Hellenstein. On y entend surtout Verdi et Mozart mais parfois aussi quelques raretés. En 2009, quand Marcus Bosch, que nous avions apprécié naguère dans sa défense d’un opéra rare à Nuremberg, en prend la direction artistique, profitant de la construction d’un palais des congrès qui sert de refuge en cas de mauvais temps, le festival prend une nouvelle dimension avec dorénavant deux opéras à l’affiche en alternance et surtout un cycle entamé des opéras de jeunesse de Verdi. Cette année, le projet poursuit son petit bonhomme de chemin avec deux pièces au programme d’un festival au budget ne dépassant pas les 2 millions d’euros : La Dame de Pique et cet Ernani, perpétuant le cycle des premiers Verdi.
Nous sommes cette fois dans le palais des festivals, le château étant dévolu aux représentations en plein-air de la Dame de Pique. Si l’on évoque une scène étriquée, une fosse réduite ainsi qu’une mise en scène minimaliste aussi (décor unique qui nous rappelle les forêts de Falstaff ou celles de The Midsummer Night’s Dream, quelques belles idées comme cette robe à panier d’Elvira qui se transformera en cage pour elle-même et Ernani, signifiant l’impossibilité de leur amour), nous aurons dit l’essentiel de nos réserves sur un spectacle décidément emballant, avec un plateau vocal très homogène, un orchestre en bien meilleure forme que la veille (une Dame de Pique, elle, peu convaincante) et un chœur en état de grâce.
Commençons par là : le Tschechischer Philharmonischer Chor Brünn, sous la houlette savante de Petr Fiala réalise ce soir un sans-faute admirable, se jouant de chaque difficulté (notamment un chœur d’entrée piégeux comme tout), alliant exactitude rythmique et aisance dans les déplacements (le chœur initial du II swingué dans le meilleur des goûts). On ressent une réelle complicité, une attention discrète, voire quasi invisible mais efficace aux directives du chef qui, de son côté, a porté la représentation sans faille ni temps mort.
Marcus Bosch dirige donc sa Cappella Aquileia. C’est un ensemble dédié au festival qu’il a fondé en 2011. Orchestre bien fourni, tempi sans surprise, le chef tient son monde, le porte, en une communion bien plaisante à entendre et à voir.
Le plateau vocal est une bonne surprise. On sait qu’il faut trouver l’équilibre dans le quatuor central de Ernani, où les interpénétrations sont permanentes, les arias succédant aux duos (parfois duels), trios ou ensemble.
Commençons par le Don Carlo de Marian Pop. Un baryton au timbre plaisant, que l’on pense solide et qui le sera dans l’ensemble malgré un réel flottement dans la justesse pour le « O dei verd’anni miei » du III, flottement qui le déstabilisera un moment sans aller toutefois jusqu’à obérer la fin de sa prestation où on le retrouvera pimpant comme devant. On reste moins convaincu par son interprétation scénique. Au I, on le découvre en jeune premier, bien peu roi en somme, prompt à baisser la garde et – presque – le pantalon devant Elvira. Puis on le retrouve au II déguisé en Hans Landa de « Inglourious Basterds », avec gabardine, costume de guerre et casquette du plus mauvais goût, à la tête d’une bande de furieux armés jusqu’aux dents, en charge de fouiller le château comme les hommes de Landa la cave de Shosanna Dreyfus. Anachronisme d’autant moins compréhensible qu’au III, toujours dans le même accoutrement, Carlo ceindra la couronne de Charles Quint, après avoir ôté sa casquette de nazi mais conservé l’uniforme ! Passons.
Marian Pop; Leah Gordon, ensemble. © Oliver Vogel
Le rôle-titre est tenu par le Sud-Coréen Sung Kyu Park, qui se révèle un acteur très convaincant (admirable IV). Un peu tendu dans son aria initial et manquant du coup de nuance, la cabalette à suivre libère notre homme et le voilà parti pour ne plus s’arrêter ; que ce soit dans son duel avec Carlo au I, le magnifique trio du II ou son duo avec Elvira, il aura accompli une jolie performance grâce à une voix bien enlevée, et une maîtrise évidente du rôle.
Une agréable surprise pour nous sera le russe Pavel Kudinov dans le rôle de Silva. Belle prestance, tenue impeccable, grande noblesse d’une voix toujours bien portée, il a donné à ce rôle une touche de Grand Inquisiteur qui ne fut pas du plus mauvais effet.
La diva d’un soir aura été sans conteste l’Elvira de Leah Gordon. La Canadienne possède un soprano déjà bien dramatique qui annonce une Leonora nous semblant aujourd’hui à sa portée. Des graves magnifiques, un medium encore à parfaire mais une présence, une noblesse de chaque instant qui aura séduit sans aucune réserve (et quels piani au IV !). Longtemps membre de la troupe à Nuremberg, Leah Gordon peut maintenant certainement prendre son envol et s’attaquer à des morceaux plus copieux.
On se dit que ce jeune festival est en de bonnes mains, avec un réel projet artistique qui a trouvé son public. On a déjà hâte d’en être à l’édition 2020 avec, dans la continuité des opéras de jeunesse de Verdi, I due foscari, et, en plat de résistance, Don Carlo.