Cette Belle continue de circuler à travers la France dans une distribution inchangée depuis la première à Saint-Céré en 2010 (cf. le compte-rendu de Catherine Jordy). Ce qui veut dire adaptation permanente de la production à des plateaux différents, et de la troupe à des acoustiques qu’elle n’a pas forcément le temps de bien maîtriser : c’est là le lot de toute tournée, mais c’est peut-être aussi le problème numéro un de cette soirée : un orchestre poussé sur le côté, moitié sur scène et moitié en coulisses, rendu bien fade et effacé malgré la belle direction de Dominique Trottein, des lenteurs d’entrées et sorties de scène sur le vaste plateau de Massy, et une allure rabâchée (ou fatiguée) de l’ensemble au premier acte, les choses s’arrangeant au second.
L’œuvre n’est-elle pas également en cause ? Certainement. Cette opérette, la plus jouée et la plus populaire de Francis Lopez, est plus célèbre par son interprète vedette, Luis Mariano, que par ses qualités musicales intrinsèques… Et les textes parlés sont d’un genre tellement daté qu’ils sont difficilement défendables, sinon au second degré. Le seul parti à prendre était donc celui qu’a choisi Olivier Desbordes : aller à fond dans la dérision et l’impertinence, ce qu’il fait gentiment, presque trop sagement. Là où la distanciation est parodique et joyeuse, on aurait aimé qu’elle aille plus loin, et l’on regrette la méchanceté de Savary et les dérapages de Shirley et Dino. Telle quelle, la production est un peu trop respectueuse de l’œuvre tout juste réduite à sa dimension originale d’une heure quarante.
L’astucieux décor de Patrice Gouron s’articule devant l’énorme taureau publicitaire du brandy Veterano (Osborne) que l’on voit encore sur les routes espagnoles, et qui avait occupé la même place en fond de scène de la récente production de Carmen à Barcelone. Les couleurs des années 1970, avec leurs publicités tapageuses, et un clin d’œil aux photos kitsch de Pierre et Gilles, se retrouvent bien dans les jolis costumes de Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne.
La plupart des membres de la troupe sont aguerris aussi bien à l’opéra qu’à l’opérette, alternant avec virtuosité les deux genres. Andrea Giovannini (Carlos Médina), dont on avait salué la performance en Hoffmann (cf. notre compte-rendu) est excellent vocalement et scéniquement. Il assume parfaitement le pastiche sans pour autant négliger les impératifs lyriques avec alors une belle maturité vocale. Eduarda Melo campe une Maria Luisa très sexy – elle n’a pas seulement des yeux de velours, elle a les yeux revolver – et assume avec brio et sans mièvrerie, mais avec une voix un peu durcie, ce rôle extraverti. On retrouve avec plaisir Sarah Laulan (Pepa), dont on avait salué la performance dans L’Île de Tulipatan (cf. notre compte-rendu) et qui confirme une fois de plus qu’elle est l’une des meilleures avocates de la grande tradition, dans le bon sens du terme, de l’opérette française. Et l’on découvre avec intérêt Yassine Benameur (Ramirez), qui distille très finement le plus joli passage de la partition, l’air « Connais-tu », qui n’est pas sans rappeler le Démons et merveilles de Joseph Kosma et Jacques Prévert dans le film alors tout récent Les Visiteurs du soir (1942). Éric Perez (Dany Clair) fait ce qu’il peut, fort bien d’ailleurs, avec un texte impossible, et Éric Vignau (Manillon), l’un des piliers de la compagnie, est un amusant et fort bien chantant valet d’opérette. Et tout autour, les excellents danseurs de la compagnie Vilcanota suivent avec un grand humour espagnolisant toute l’action, en animant des scènes réjouissantes dont celle des hôtesses de l’air autour d’un Super-Constellation.
Peut-être l’œuvre gagnerait-elle à bénéficier, sur les plateaux les plus vastes, d’une troupe de figurants et de danseurs un peu plus nombreux. Au total, la représentation n’engendre pas la mélancolie, sans pour autant soulever l’enthousiasme. Œuvre emblématique, La Belle de Cadix montre qu’elle peut constituer l’un des meilleurs exemples de l’opérette française post-1945. Il ne faut pas lui demander plus.