Difficile de ne pas adhérer au manifeste féministe de Beyoncé en sortant de la Vitrifigo Arena ce soir !
Pas que ces messieurs aient démérité. Barry Banks (Norfolc), dont la couleur vocale blafarde suffirait à elle seule à annoncer les desseins pervers, fréquente les partitions rossiniennes depuis des années : cela s’entend dans l’intelligence de l’utilisation des ses moyens, notamment dans sa scène de l’acte 2. Il manque cependant aujourd’hui à ce chant les arêtes et uppercuts pour dresser le portrait complet du traître. On trouverait difficilement voix plus opposée chez son rival Leicester (Sergei Romanovsky) : le ténor russe a le timbre mâle et caressant du héros droit et incorruptible. Est-ce pour autant suffisant dans ce rôle créé par Nozzari ? Si les graves ont gagné en rondeur, il faudrait, pour transcender ce chant très maîtrisé, davantage de liberté dans la quinte aiguë et de folie dans les variations. Cette relative sagesse dans cette dernière représentation de la série pourrait s’expliquer en partie par la fatigue accumulée.
Dans ces conditions, ces dames, déchainées, se taillent la part du lion.
Salomé Jicia, qui a chanté déjà chanté le rôle-titre (notamment à Bruxelles) est ici Matilde, fille Marie Stuart et épouse secrète de Leicester. La vocalise rossinienne n’a pas de secret pour elle et le rôle secondaire prend ici des reliefs inhabituels. A son timbre mat et compact s’oppose la rondeur du mezzo de Karine Deshayes. Quelle osmose avec ce rôle créé par la Colbran ! Au-delà d’une autorité vocale souveraine et d’une puissance impressionnante, la chanteuse peut compter sur sa technique sans faille pour faire sienne l’écriture brillante du rôle. Il en ressort une impression euphorisante d’aisance, qui fait espérer un retour rapide de Karine Deshayes en terres rossiniennes.
Davide Livermore a transposé l’intrigue à la cour d’Angleterre au lendemain de la seconde guerre mondiale. On se croirait dans un épisode de The Crown avec Karine Deshayes en jeune Elisabeth II, plus vraie que nature. Son premier air est ainsi une déclaration radiodiffusée annonçant la fin de la guerre, et le metteur en scène actualise l’action, transformant par exemple certains duos en conversations téléphoniques. Pourtant le procédé, répétitif, tourne rapidement à vide, et des figurants (femmes de chambre et valets) s’agitant constamment viennent parasiter l’attention.
Karine Deshayes (Elisabetta), Salome Jicia (Matilde) © ROF / Studio Amati Bacciardi
Le dispositif scénique avec les vidéos de D-WOK est élégant avec des images parfois spectaculaires. Pourtant ici aussi les idées fusent (vagues noires qui viennent envahir les décors immaculés du palais, apparition d’un cerf), sans qu’elles soient facilement compréhensibles ni qu’elles apportent du sens à l’intrigue.
La direction musicale d’Evelino Pidò à la tête de l’Orchestra Sinfonico Nazionale della RAI ne convainc que partiellement. Comme à son habitude les tempi sont souvent très (trop ?) enlevés, avec de subits ralentis. La première scène de Norfolc met par ailleurs en évidence un déséquilibre sonore, avec un orchestre qui couvre totalement Barry Banks. La balance se rééquilibre heureusement par la suite, mais, malgré les beaux timbres de l’orchestre, l’ensemble laisse une certaine impression de sécheresse.