Après avoir donné Les Puritains l’année dernière en version de concert, l’Opéra de Lyon a inclus dans sa saison 2013-2014, pour deux représentations seulement et de nouveau sans mise en scène, ce sommet du bel canto qu’est Norma. Le regret de ne pas voir une véritable représentation lyrique a vite été estompé par le plaisir d’entendre un chant d’une exceptionnelle qualité et de la très belle musique. On attendait beaucoup de la présence de la soprano roumaine Elena Mosuc dans le rôle titre et c’est peu dire que l’on n’a pas été déçu. Quelle maîtrise époustouflante de la technique, du souffle, des nuances, de l’articulation et du phrasé ! Et quelle voix, qui sait être majestueuse ou tragique sans verser dans l’excès, rendant perceptible la moindre intonation, le moindre soupir. On atteint à la quintessence du bel canto. Aussi à l’aise dans les aigus que dans les graves, capable de tenir sans effort apparent les plus difficiles des notes filées, Elena Mosuc sait également, en dépit, et pour cause, de toute direction d’acteur, illustrer par sa présence scénique les deux facettes de Norma. Digne druidesse toute en retenue durant le premier acte – à l’exception de la colère qui la saisit à la toute fin lorsqu’elle apprend la trahison de Pollione –, elle déploie dans le deuxième acte, par un engagement physique accru, tout l’éventail des passions qui animent la mère et l’amante.
Pour lui donner la réplique, la mezzo-soprano Sonia Ganassi, de nature plus extravertie, à la présence spontanément plus dramatique, fait elle aussi la preuve d’une technique éblouissante mise au service d’une voix veloutée et d’une grande intensité, créant une émotion rare, notamment dans le duo « Mira, o Norma », même si l’on pourrait imaginer une Adalgisa un peu plus réservée auparavant, lors de son premier entretien avec la druidesse.
Troisième personnage principal, le proconsul romain est interprété par le ténor américain John Osborn, remplaçant Massimo Giordano. La voix est belle, le timbre clair, la technique impeccable : tout est parfaitement en place, le chant est agréable, presque trop maîtrisé au sens où ne semble percer aucune passion véritable, sauf à la toute fin, lorsque Pollione implore la grâce d’Adalgisa. La projection semble toutefois en-deçà de celle des deux cantatrices, car le volume sonore est en léger déséquilibre.
Dans les autres rôles, les interprètes sont également de grande qualité : si la basse italienne Enrico Iori est parfois un peu couverte par l’orchestre, le chanteur déploie de beaux graves et impose le respect voulu. La mezzo-soprano Anna Pennisi compose une Clotilde de belle facture, à la voix souple et claire.
Saluons l’excellence des chœurs de l’Opéra de Lyon, dirigés par Alan Woodbridge, dont les interventions sont millimétrées, tant dans leur volume et leur sonorité que dans leur précision d’attaque et qui, par surcroît, créent quelques moments dramatiques lorsque chanteuses et chanteurs, qui occupent le fond de la scène en hauteur, se lèvent tous comme une seule femme (ou un seul homme) en entonnant les premières syllabes de leur partie.
Evelino Pidò est décidément l’un des grands spécialistes de Bellini, sa direction est exaltante pour les musiciens de l’orchestre comme pour les chanteurs et pour le public. Ses choix de tempi sont remarquables, que ce soit pour « Casta diva » ou pour le chœur « Guerra ! Guerra ! ». En mettant ainsi en valeur les contrastes, en les accentuant même, il joue en virtuose de la partition et entraîne les artistes dans un sillage enivrant.
À quand une mise en scène qui serve d’écrin à ces joyaux ?