Un salon SM, un asile de fous, une cellule, un cabaret, une cour, une bacchanale, de la violence, et du sexe pour faire bonne mesure… à trop vouloir plaquer des signifiants et des lieux étrangers sur une œuvre, Martin Kušej ne propose en définitive pas grand-chose. Elektra est déjà surdéterminée entre intertextes, musique, et mises en scène anthologiques. Alors, péché de surenchère ? Sûrement, sinon comment expliquer les deux scènes incestueuses entre sœurs, puis entre le frère et la sœur, qui s’ajoutent aux nombreux figurants en petite tenue, nus, ou travestis, sans oublier la brève apparition de danseurs de revue à la mode Carnaval de Rio sur la valse finale etc. etc.
Il s’agit d’une reprise de production de répertoire, avec un temps de mise en place certes limité mais au milieu de ce qu’il faut bien appeler un fatras, l’Allemand, directeur du Residenztheater de Munich, laisse la direction d’acteur en coulisses : psychologies, pulsions ou motivations des personnages sont tout aussi obscures que l’espace scénique où ils évoluent. Des monticules, partout présents, compliquent fortement la marche, sans que l’on en comprenne bien l’intérêt.
© Judith Schlosser
Sur le plateau la soirée n’est guère plus à la fête. Evelyn Herlitzius défend vocalement son Elektra avec les mêmes qualités et défauts qu’à Aix-en-Provence : certaines notes sont hors de portée, marquées au mieux, criées au pire. Laissée à elle-même, la soprano brille par sa présence scénique, faite d’économie de gestes. Mais là aussi, on sent l’artiste encore habitée du travail effectué avec Patrice Chéreau : certains gestes reparaissent, eux aussi plaqués sur ce spectacle étranger, sans qu’aucune nécessité interne ne vienne les justifier. A 70 ans passés, Hanna Schwarz, à qui Zurich confie désormais les rôles de femmes acariâtres, est ce soir une Klytemnestra qui tangue sur scène autant que son vibrato est impossible, chaque note un peu tenue décrivant une sinusoïdale avant d’atterrir plus ou moins au bon endroit. Reste la Chrysothémis d’Emily Magee, qui, pour être à l’aise à l’aigu, abuse du décibel et est beaucoup plus instable à l’autre extrémité de la tessiture. L’autre sexe est plus séduisant, las, Elektra n’est point trop affaire d’hommes : Oreste trouve en Christof Fischesser une basse soucieuse de la ligne et de l’expressivité ; Michael Laurenz prête un timbre de ténor fielleux à son Aegisth. Les seconds rôles, invités ou issus de la troupe, apportent toute satisfaction.
La fosse aussi fait étalage d’une très belle couleur, notamment les cordes et violoncelles. Lothar Koenigs accentue les contrastes entre passages piano et forte, demande des attaques parfois violentes à ses pupitres. S’il parvient à faire fusionner l’ensemble, il devra rattraper plusieurs décalages en cours de soirée et peinera à maintenir la tension jusqu’au bout de l’opéra.