Dans l’univers opéra, sur la planète Mozart, il ne régnait pour ainsi dire qu’un seul homme : Peter Mattei (« the Ultimate Don Giovanni » selon Sylvain Fort ). Il a maintenant, c’est sûr, un nouveau rival : Tassis Christoyannis. Du rôle de Don Giovanni, le baryton « qui monte » a tout appris : la désinvolture, le vice, la superbe, le ridicule aussi parfois. Le dissoluto punito réclame du chanteur un engagement singulier, une sortie de soi sans doute ; il s’avère impitoyable pour ceux qui se contentent du service minimum. Tassis Christoyannis se joue des notes – il les a chacune, insolemment – et parvient à faire tourner tout le spectacle autour de lui. Son interprétation est en tout point brillante, d’un doucereux « Deh, vieni alla finestra » jusqu’aux mordorures de son duettino avec Zerlina. Il lui faut maintenant conquérir la grande scène qui mérite son talent.
De talent, le Grand-Théâtre de Tours n’était ce soir là pas en manque. Son orchestre d’abord – pourtant non exempts d’imperfections ou de légers décalages – mais qui insuffle à la représentation une belle tenue, presque symphonique, sous la direction du chef maison Jean-Yves Ossonce. Le joli timbre d’Albane Carrère ensuite, Zerlina au cordeau et à la diction éloquente : la belle surprise de la soirée. On attendait beaucoup de la franco-nigérianne Omo Bello, et il faut lui reconnaître une facilité de projection assez peu commune pour une Donna Anna de vingt-six ans. Plus discutable par contre sont les accents passablement soupirants qui caractérisent déjà son beau chant : il faudrait se méfier, et surtout chez Mozart, du « syndrome Danielle de Niese ». Marianne Fiset, Manon à Bastille la saison dernière, expose étonnamment davantage sa voix ici que dans l’immense fosse aux lions parisienne. Il lui reste de beaux atouts. Ecrasés par le libertin magnifique, les hommes ne sont pas beaucoup plus que des faire-valoir : un Leporello sympathique et investi mais un peu léger de Tomislav Lavoie, un Masetto hors-propos, un Ottavio – Yves Saelens – au timbre non dénué de charme, mais engorgé et définitivement trop balourd.
Sans aucun doute ne sont-ils pas aidés par leur metteur en scène. Le québécois Oriol Thomas expose ses intentions dans le programme de salle : un Don Giovanni « sans référence à une quelconque historicité », obligeant les interprètes « à traduire l’énergie, les rythmes de leur personnage à travers leur corps comme à travers leur voix ». Louable. Ainsi disent-ils tous ! Mais combien d’entre eux en font-ils quelque chose de vrai, de beau, d’intense, une fois planté le décor ? Malheureusement une nouvelle fois gagnent un peu partout les postures ampoulées, se répètent les mêmes regards vaguement hébétés. De grâce, jouez, vivez : haut les cœurs !