Après Aix en Provence en juillet et Nancy au début de ce mois, c’est au tour du Grand Théâtre de Luxembourg d’accueillir ce Don Giovanni mais cette fois avec l’orchestre grand-ducal conduit par son jeune chef Gustavo Gimeno.
Tout ou presque a déjà été dit sur la mise en scène de Jean–François Sivadier, à la fois complexe, ambitieuse et pas tout à fait aboutie, tirant l’œuvre du côté du burlesque parfois au détriment du drame réel, sur la quasi absence de décor, sur les costumes qui entrainent le spectateur du XVIIIe siècle au monde contemporain. Tout cela nous vaut quelques très beaux tableaux magnifiquement éclairés par les lumières de Philippe Bertomé, mais l’ensemble est froid, peu propice à susciter l’émotion, qu’il s’agisse de colère ou de tendresse, de peur ou d’indignation. Les mouvements cependant son particulièrement bien réglés, presque chorégraphiés, très souvent calqués sur le rythme de la partition. L’absence de décor nous aura valu au passage un air du catalogue sans catalogue, un air du champagne sans champagne, un air du balcon sans balcon et une scène du dîner sans dîner. Le théâtre de Sivadier est tout en suggestions…
Don Giovanni tel qu’il se présente ici, grand dégingandé désinvolte, n’est ni effrayant ni sympathique et s’il finit presque nu tel le Christ sur sa croix, ce n’est surement pas pour la rédemption des péchés du monde ; dans un halo de lumière blanche, il semble encore vouloir mener son monde et imprimer le tempo. Son pendant honnête, le brave Leporello, est traité lui de façon très traditionnelle, ainsi d’ailleurs que les autres personnages, avec une Elvira sans doute plus maternelle qu’à l’habitude, qui finit en Mater Dolorosa lorsqu’elle implore « per lui pietà » au deuxième acte, caressant la tête de Don Giovanni sur ses genoux. Seule originalité, la similitude physique des deux chanteurs est telle que le Commandeur semble un double de Don Giovanni passé dans l’au-delà.
La distribution est la même qu’à Nancy, largement dominée par le Don Giovanni d’Andrè Schuen, voix facile, magnifiquement bien timbrée, à la projection parfaite et qui convient particulièrement bien au rôle. A ses côtés, Nahuel di Pierro (Leporello) compense par un jeu plein d’allant les faiblesses de la voix : le médium est sonore, mais le grave et l’aigu manquent de caractère et de puissance. La Donna Anna de Kiandra Howarth est émouvante, même si la voix semble un peu métallique. Voix puissante mais peu à l’aise dans les vocalises, Yolanda Auyanet (Donna Elvira) à un timbre chaud et agréable. Le Don Ottavio de Julien Behr est très à l’aise dans le premier air (« il mio tesoro »), un peu moins dans « Dalla sua pace » et tout à fait émouvant dans sa demande en mariage, apportant au rôle plus de substance et de virilité qu’à l’accoutumée. Le couple Zerlina Masetto (Francesca Aspromonte et Levente Páll) s’en tire très bien également et recueille même les hourra du public à la fin du spectacle. Le commandeur enfin (David Leigh) n’a sans doute pas la profondeur nécessaire pour le rôle, mais compense par son physique – ectoplasmique à souhait – ce manque de crédibilité vocale.
Dans la fosse, l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg semble très à son avantage, dirigé avec beaucoup de verve et d’allant par un chef d’orchestre inspiré (magnifique ouverture), très attentif aux chanteurs, un peu moins aux ensembles avec chœur qui souffrent de certaines imprécisions de tempo.