Il est des partitions que l’on retrouve avec délice, comme un vieil ami avec qui l’on a beaucoup partagé, que l’on connaît bien sans que, pour autant, le charme de sa conversation ne soit épuisé. Die Zauberflöte fait partie de ces œuvres que l’on se réjouit de revisiter, d’autant plus que pour beaucoup de mélomanes, elle a été le premier contact avec le monde lyrique, et bien souvent l’objet d’un coup de foudre d’enfant. Angers Nantes Opéra en propose une bien jolie version, reprise de sa production de 2006, qui nous transporte dans un imagier faisant la part belle à la fantaisie comme à la gravité.
Dans une distribution d’excellente tenue, Ruben Drole mérite une mention particulière : son Papageno est un régal d’humour, de fantaisie, d’intelligence scénique et musicale. Son charisme n’a d’égal que son impeccable diction. La voix est ample, homogène, le timbre généreux. Membre de la troupe de l’Opéra de Zurich depuis plusieurs années, on peut l’y entendre régulièrement. Il justifierait à lui seul une escapade pour l’applaudir en Escamillo courant juin ou encore en Leporello au Theater an der Wien la saison prochaine. À l’oiseleur, il faut un prince ; Elmar Gilbertsson propose un Tamino très convaincant, à la projection puissante, au timbre ciselé pour le rôle. On pourra lui reprocher toutefois d’être un peu court de souffle par moment, ce qui implique quelques prises d’airs incohérentes avec le texte. Face à lui, la Pamina de Marie Arnet est d’une grande musicalité, son jeu de scène, comme son interprétation sont dépourvus d’afféterie. Son soprano est bien timbré, solaire et plaisamment charnu, avec de jolies nuances aussi ingénieuses qu’inattendues. Malheureusement la voix ne tient pas sur la longueur et la chanteuse suédoise est en difficulté à partir de « Ach ich fühl’s ». Ce que l’on retient pourtant, c’est la pureté parfaitement assumée du personnage, sans outrance ni pose. Le contraste pourrait donc être parfait avec l’incarnation volcanique de sa mère par Olga Pudova. La colorature russe fait mieux encore en offrant une version juvénile et sincère du personnage. L’air d’entrée dégage une émotion singulière, notamment par des nuances remarquablement intelligentes et des piano subito prenants. Familière de la figure de Reine de la Nuit qu’elle a interprétée dans les institutions prestigieuses de Saint-Pétersbourg, Berlin ou Vienne, elle l’incarnera à nouveau la saison prochaine à Zürich et Paris.
Patrice Caurier et Moshe Leiser sont manifestement d’excellents directeurs d’acteurs qui ont le goût du jeu : autour des personnages principaux, les trois Dames, Katia Velletaz, Emilie Renard et Ann Taylor convoquent la commedia dell’arte dans des costumes très réussis tandis qu’Eric Huchet – impeccable – jubile en Monostatos. Habitués le la maison nantaise comme de nombreuses scènes internationales, ils reviennent ici au pur plaisir du théâtre, jouant de ses artifices les plus traditionnels avec efficacité et pertinence : trappes, objets tombant des cintres, envolées des artistes vers le ciel, colombes vivantes entourant Papageno… Le spectateur feuillette avec plaisir ce livre d’images qui le transporte sans heurt d’un univers à l’autre. Les trois enfants entraînent Pamina dans les airs et l’on croit voir la Wendy de Peter Pan s’envoler au dessus de Londres ; Papageno, terrorisé, se cache sous la table du festin mais ne peut se résoudre à fuir en abandonnant une si bonne chère : il emporte donc la desserte sur son dos comme dans le théâtre italien ; une biche empaillée suspendue dans les airs par un rayon vert évoque quant à elle un happening d’art contemporain… La dimension ésotérique n’est pas oubliée pour autant et se donne à voir en des images simples et parlantes : les scènes du temple sont recueillies et le chœur de Xavier Ribes joliment impliqué ; Pamina et Tamino traversent les épreuves du feu et de l’eau engloutis sous la scène tout comme ils doivent plonger en eux-mêmes pour naître à une autre dimension. James Creswell, enfin, campe un Sarastro géant dont la ligne de chant est d’un grand naturel, sans effort apparent dans l’émission, ce qui confère à son personnage une noblesse dépourvue emphase.
Face à un si beau plateau, qu’arrive-t-il à Mark Shanahan ? Le chef britannique ne nous avait pas habitués à ces décalages répétés entre la scène et la fosse qui s’ajustent parfois laborieusement. Dès l’ouverture une certaine imprécision nuit à l’écoute, les cuivres sont trop forts, ce qui s’avère d’autant plus dommage que faire ressortir les lignes de basses de la partition était une bonne idée. Par la suite, les tempi posent question à plusieurs reprises et mettent les chanteurs bien inutilement en difficulté. En dépit de ce bémol, l’essentiel est bien là : Die Zauberflöte est un conte de fées, au même titre qu’un récit d’initiation, la maison nantaise nous propose une version fidèle à l’esprit de l’œuvre et une soirée pleine de grâce et de merveilleux.
prochaines représentations :
Nantes / Théâtre Graslin : lundi 26, mercredi 28, vendredi 30 mai, dimanche 1er, mardi 3 juin 2014
Angers / Le Quai : vendredi 13, dimanche 15, mardi 17 juin 2014