Les Bourguignons attendaient deux Flûtes cette année : la première, promise par Andreas Staier, a été simplement supprimée par l’Opéra de Dijon, la seconde, que devait diriger ce soir Jérémie Rohrer dans la Cour des Hospices n’en prend que davantage de prix. Le mozartien chevronné, qui a pris son envol avec l’Idomeneo révélé à Beaune – on se souvient aussi d’un mémorable Don Giovanni en 2017 – après un parcours exemplaire, aborde maintenant le plus célèbre Singspiel de Mozart, avant de le reprendre à Brême en septembre. Le concert a été déplacé à la Basilique en raison des intempéries. L’orchestre, les chœurs et les solistes ont pris place entre les micros destinés à la retransmission en direct par France Musique et les stations membres d’Euroradio. Aux lecteurs qui auront écouté la production sur leur chaîne, il est nécessaire de préciser que les conditions acoustiques particulières au lieu auront très certainement été corrigées par les preneurs de son. Ainsi, l’orchestre se signale par des cuivres puissants, dont les ponctuations paraissent ici écraser les cordes et les bois. Les trois garçons, placés derrière l’orchestre, comme le chœur, passent mal dans la nef, et c’est bien dommage car la qualité de leurs interventions était indéniable.
La lecture enthousiaste que nous propose Jérémie Rohrer se situe dans le droit fil des interprétations les plus pertinentes de notre temps, loin des monuments des grands chefs d’il y a cinquante ans. L’orchestre est superbe, auquel la direction imprime des articulations, des phrasés admirables, tout comme les contrastes, dans des tempi soutenus et changeants. La précision est quasi idéale, la lisibilité parfaite. Tout juste regrette-t-on le peu de place réservée à l’épanchement lyrique, comme à la majesté et à la gravité, pour les passages qui les appellent. Les finales délibérément exubérants, fébriles, accélérés, s’ils confirment la virtuosité des instrumentistes et des chanteurs, y perdent leur joie rayonnante, lumineuse. Presto et allegro ne signifient pas une course un peu folle qui mettrait bien des ensembles en péril. Pour en terminer avec les réserves, il faut mentionner la phonation incertaine de l’allemand par une partie de la distribution, particulièrement dans les textes parlés. L’articulation, l’accentuation et la couleur de la langue font souvent défaut. Manifestement là n’a pas été le premier souci des chanteurs ni du chef. L’essai est réussi, on va le voir. Il s’agit maintenant de le transformer. Comme souvent, lors de toute première, on essuyait un peu les plâtres.
La distribution, internationale et jeune, rassemble pour l’essentiel des familiers de l’ouvrage, dont un bon nombre de chanteurs appréciés ici même. Ainsi Matthew Newlin passe de Jupiter (dans la Semele de Haendel dirigée par Leonardo García Alarcón) à Tamino. Le ténor américain, attaché au Deutsche Oper de Berlin, où il a déjà chanté le rôle, fait forte impression : Dès son premier air « Dies Bildnis », empreint de passion, la voix est superbe et rare . La clarté de l’émission, l’intelligence du personnage, la sensibilité et la force emportent l’adhésion, on pense à Joszef Reti. La Norvégienne Mari Eriksmoen n’est pas en reste. Quel chemin parcouru depuis sa Barberine d’Aix en Provence (2012) ! Maintenant familière de Pamina, elle nous gratifie d’un « Ach ich fühl’s » touchant. La voix chantée, égale dans tous les registres, aux aigus aériens est bien de celles qui font les grandes. Les textes prononcés surprennent par leur registre grave, mûr, qui altèrent quelque peu la crédibilité de sa Pamina. Christina Poulitsi, colorature grecque, remplace Sarah Traubel, souffrante. Diva toute aussi abonnée au rôle de la Reine de la Nuit, ses deux airs, évidemment attendus, ne se résument pas à la virtuosité, leur expression dramatique est soutenue par une voix exceptionnelle, aux aigus lumineux, aux vocalises souples, parfaitement mises en place. L’expression dramatique est intense, bienvenue. Ainsi la colère du second air, « Die Hölle Rache », se traduit-elle par un allegro assai où l’orchestre traîne quelque peu.
Mozartiens et rossiniens complices sont le Papageno de Riccardo Novaro et la Papagena d’Elena Galitskaya (également deuxième dame). Le premier, auquel revient le rôle le plus lourd de l’ouvrage, vit son personnage avec une vérité évidente. La voix est saine, solide, sonore et articulée, l’oiseleur, bouffe sans le moindre cabotinage, tout appelle les ovations finales ô combien méritées. La version de concert interdisait à Papagena d’apparaître tout d’abord en vieille femme. C’est le seul petit regret que nous ressentons à l’écoute d’Elena Galitskaya. Leur duo n’est que du bonheur. Luigi De Donato, bien connu des familiers de Beaune, est Sarastro (qu’il aurait dû chanter avec Staier, aussi). Familier de Haendel, Vivaldi et autres grands baroques, on le retrouvera demain pour trois rôles dans le Retour d’Ulysse. La voix est ample, longue et souple. Les graves sont bien là. Mais pourquoi les souligner ostensiblement en octaviant certaines finales ? « O Isis und Osiris », d’une autorité et d’un beau soutien, pâtit d’un chœur lointain. « In diesen heil’gen Hallen » est superbe. Maxime Melnik, jeune ténor belge, nous vaut un surprenant Monostatos, avec une voix haut perchée, pointue, accentuée, qui ne dessert pas le personnage. Quant à Gwendoline Blondeel, découverte à Froville, son émission pure, son intelligence musicale lui permettent d’exceller tant dans le baroque et le classique que dans la comédie musicale. On se réjouit de la retrouver comme première des trois dames, même si le rôle est modeste au regard de ses moyens. Les mérites de la deuxième, également Papagena, ont été énumérés. Mélodie Ruvio, la mezzo complémentaire, a la rondeur d’émission et les couleurs qui conviennent. Leur trio, tour à tour discipliné, futile, enjoué est un des atouts de cette production. Les trois garçons ne sont pas en reste : la fraîcheur est bien là. Guilhem Worms, Der Sprecher, remplit sa mission avec conviction, la voix est sonore et l’autorité manifeste. Les ensembles, duos, trios, quintettes, sont autant de bonheurs, d’une mise en place irréprochable, à la vie intense.
Relégué en fond de choeur – mais pouvait-il en être autrement ? – le magnifique Chœur de chambre de Namur, qui nous vaut aussi les deux prêtres (excellents Pierre Derhet et Samuel Namotte) et les deux hommes d’armes (remarquables Kenny Ferreira et Philippe Favette), n’est pas perçu avec la force dont il est capable. Toujours aussi modeste parmi ses ténors, Thibaut Lenaerts, qui en a assuré la préparation, trouvera ailleurs de nouveaux motifs de satisfaction. Le délicieux « Das klinget so herrlich », avec le glockenspiel, tout comme le « Heil sei euch Geweihten » final souffrent d’une discrétion liée à l’éloignement, qui fait regretter de ne pas écouter avec les oreillettes.
Un premier essai, prometteur de joies renouvelées, dans l’attente d’un enregistrement.