Puis vint Nina Stemme… Dans une salle à l’italienne de dimension raisonnable, en son pays, avec une mise en scène classique n’exigeant aucune contorsion distractive, la Brünnhilde de sa génération irradie. Non qu’elle soit moins admirable dans les plus grands théâtres du monde, mais l’intimité décuple l’émotion. Les Stemmelâtres, ceux qui suivent de près la carrière de la soprano, représentation après représentation partout dans le monde, relèveront un « hojotoho » liminaire moins assuré que d’autres fois, comme si dans ce cri imposé avec un certain sadisme par Wagner, la voix cherchait encore son assise. Quoi d’autre ? Un aigu mesuré, non pas dardé mais prudemment attaqué, sage précaution s’agissant de la première étape d’un marathon de trois opéras où les sollicitations sont extrêmes. Ergoter reste quoi qu’il en soit mesquin tant Nina Stemme domine une partition réputée à juste titre inhumaine. Voix d’acier, médium d’airain, tous les métaux indestructibles fusionnent en un chant dont l’héroïsme sait ne pas négliger l’expression. Sur toute la tessiture, sans un accroc, le mot, chuchoté ou cravaché, transcende les notes pour les vêtir de sens.
Il serait cependant injuste de porter au seul crédit de Nina Stemme la qualité d’une première journée en tout point supérieure au prologue du cycle la veille. John Lundgren confirme qu’il est un Wotan de taille, certes noir de timbre mais insubmersible, empoignant bravement de poignants adieux comme s’il n’avait auparavant enquillé une scène de ménage, une introspection freudienne non pas débitée d’un bloc mais creusée de doutes, et un règlement de compte avec sa fille, attentif comme elle au mot, à la ligne, à la noblesse du geste vocal.
Déjà remarquable dans L’Or du Rhin, Katarina Dalayman en Fricka est une tigresse à laquelle on ne résiste pas. L’aisance avec laquelle la voix évolue de manière homogène dans les registres inférieurs valide la reconversion mezzo de la soprano.
Si la direction de Marko Letonja est inchangée, imagée, vigoureuse, moins respectueuse peut-être d’équilibre mais encore plus intransigeante dans la façon dont elle avance vers son issue, ici scintillante, l’orchestre lui semble avoir retrouvé ses marques en terme de justesse et d’épanouissement sonore, du moins durant les deux premiers actes.
© Markus Gårder
Hunding, inflexible de Lennart Forsén, buté et borné comme il se doit, retranché en une voix de basse sépulcrale, tel l’escargot dans sa coquille. Siegmund de Michael Weinius auquel on ne saurait reprocher d’être ténor, avec ce que cela signifie d’impact moindre dans les zones les plus graves, courageux, repoussant sans faillir les assauts d’un premier acte crucifiant, toujours déterminé au deuxième, rendant coup sur coup sans que la ligne et le timbre n’en soient affectés, piètre acteur cependant mais il ne faut lui demander l’impossible d’autant qu’il doit se confronter à une Sieglinde qui, elle, possède tout : le chant, le jeu, la présence brûlante, ce feu qui capte l’attention jusqu’à l’éblouissement. En troupe au Kungliga Operan, Cornelia Beskow devrait bientôt quitter sa Suède natale pour partir à la conquête du monde, suivant l’exemple de Jenny Lind, Astrid Varnay, Birgitt Nilsson ou Nina Stemme avec laquelle elle partage la scène ce soir. Son soprano possède le tranchant des voix du nord. Dénué de vibrato, d’abord clair et étroit, il s’élargit au fur et à mesure qu’il s’échauffe pour emplir la salle, suivant en cela l’évolution de Sieglinde, épouse soumise puis ardente maîtresse. Mais le chant fascinerait moins s’il ne s’accompagnait d’une flamme inextinguible qui n’obéit à aucun facteur rationnel, juste ce truc en plus qui distingue les plus grands des autres.
Passons rapidement sur les huit Walkyries pénalisées par de mauvais effets de sonorisation pour redire tout le mal et le bien que l’on pense de la mise en scène. Le mal ? Le cadre scénique immuable, la difficulté à laquelle se heurte Staffan Valdemar Holm dès qu’il lui faut représenter la dimension spectaculaire de l’épopée wagnérienne, avec par exemple un combat entre Hunding et Siegmund esquivé, tout comme la montée au Walhalla la veille. Le bien ? La lisibilité, la réflexion sur le geste, l’esthétisme viscontien qui fait la fille de Wotan sœur de Sissi dans Ludwig ainsi qu’au dernier acte, l’usage intelligent de la vidéo pour figurer la chevauchée des Walkyries et le brasier autour d’une Brünnhilde dont on attend impatiemment, dans l’épisode suivant – Siegfried –, le réveil radieux.