Si l’on comparait à la déception de la veille, on parlerait de métamorphose. Pourtant ce sont biens les mêmes Wiener Philharmoniker dans leur fosse. Il a donc bien quelque chose ce chef de 29 ans, fraichement nommé GMD (Generalmusikdirektor) à Francfort. Thomas Guggeis fait en ce dimanche soir ses débuts au Wiener Staatsoper dans une œuvre on ne peut plus viennoise, Die tote Stadt. Système de répertoire oblige, le jeune prodige aura disposé de peu de temps de mise en place avec l’orchestre et les solistes. Aussi on excusera quelques légers décalages ça et là dans le courant de la soirée pour se concentrer sur les qualités saillantes de sa direction. L’attention au plateau est de tous les instants : on voit et l’on sent le chef avec une main tendue vers la scène, quand l’autre dose savamment le volume de l’orchestre. La partition le prévoit pléthorique et lui alloue biens des éclats. Ils ne viendront jamais mettre à mal les solistes. Le chef aiguise le son, concentre les accords et le mordant mais jamais ne déborde. Thomas Guggeis brode aussi le drame avec élégance et surligne à l’occasion quelques cellules instrumentales : là les vents qui secondent le chant, ici les violoncelles qui nervurent la tension dramatique. C’est un remarquable travail tant théâtral qu’esthétique dans une œuvre qui ne demande qu’à se gorger de beautés sonores.
© Wiener Staatsoper / Michael Pöhn
Dans une production classique de Willy Decker (créée en 2004) – Paul, rêve, la scène se dédouble, la commedia dell’Arte fait irruption dans un univers réaliste qui se détraque jusqu’au meurtre rêvé et au retour à la vie réelle – Klaus Florian Vogt retrouve un rôle dont il est un grand titulaire actuel. Peut-être n’est-il plus aussi acéré que ce qu’il donnait à entendre à la Maison de la Radio. Toutefois ce Paul n’accuse aucune faiblesse. Le timbre si particulier du ténor se marie à merveille avec toutes les parties tendres du rôles, notamment un final très émouvant. Son entourage n’a pas à rougir. Adrian Eröd endosse le double rôle de Frank et de Fritz comme de coutume où il distille un phrasé et une diction qui conviennent à la morgue de l’ami, comme à la complainte désabusée du Lied de Pierrot. Les comédiens ne déparent en rien dans cette solide distribution : ténor de caractère trempé de Robert Bartneck en Vicorin, baryton à la rondeur faussement nobiliaire de Daniel Jenz, sans oublier les espiègles interventions d’Isabel Signoret (Lucienne) et Anna Nekhames (Juliette). Brigitta trouve en Monika Bohinec une voix chaude toute maternelle. Un rien tendue dans le haut de la tessiture dans la première partie, elle trouve toute la justesse pour son intervention dans la procession religieuse du rêve. Cette soirée était enfin l’occasion d’entendre en salle Vida Mikneviciute, programmée un peu partout outre-Rhin avant la pandémie. La voix est robuste, puissante même si cristalline, vaillante même si affectée d’un vibrato serré dans le haut de la tessiture. Surtout, le souffle gagnerait à être musclé pour soigner le phrasé sans lequel le Lied de Marietta ne peut se parer des nuances et de l’onirisme qui conviennent. Son portrait n’en demeure pas moins de belle factutre.