Né en Argentine, Alfredo Arias a fait ses armes en France et principalement au théâtre, pour acquérir au fil des ans une réputation internationale. Il a abordé ensuite la comédie musicale et l’opéra dans quelques grandes maisons européennes et festivals importants. On comprend, par les entretiens qu’il a livrés à la presse avant la première de cet Enlèvement au Sérail, qu’il voit la pièce comme un songe. Il a donc voulu créer un environnement onirique, être peu interventionniste, pour laisser le plus de place possible à la musique. Fort bien, mais cela ne constitue pas un axe bien solide. En fait, on peine à percevoir la conception globale du metteur en scène.
Le décor à lui seul constitue une proposition forte : il représente la grande salle d’apparat d’un palais XVIIIe qui aurait basculé sur un de ses murs latéraux, de sorte que le plafond et sa moulure dorée apparaissent en fond de scène face au public, comme un tableau gigantesque dans une monumentale salle de musée. Cela ne manque pas de grandeur mais un tel dispositif ne trouve aucune justification dans le déroulement du spectacle et n’est d’ailleurs guère exploité ni dans sa dimension onirique, ni dans sa dimension éventuellement subversive.
Alors que le livret permettrait un traitement comique, sur le ton de la farce — ou féerique, à la manière des contes des mille et unes nuits —, il se retrouve ici réduit, sans enchantement, à sa dimension purement narrative, somme toute fort mince. Les chanteurs restent largement livrés à eux-mêmes, les corps bougent peu et mal, avec des gestes à peine esquissés, sans tensions dramatique entre les personnages, à l’opposé de ce qu’exprime la musique de Mozart, et dès lors, sans intensité. C’est toute la direction d’acteurs qui fait défaut. On s’étonne de telles lacunes chez un metteur en scène aussi chevronné.
Il en va tout autrement, heureusement, du déroulement musical de la soirée. Dès l’ouverture, la direction précise, légère et primesautière de Christophe Rousset impose une vision résolument festive et vivante à l’orchestre, qui semble ragaillardi à son contact. Les bois sonnent comme à la fanfare, les cordes sont d’une ponctualité jamais entendue ici et un souffle joyeux, mais toujours rigoureux, traverse la fosse : la partition frémit de toutes ses turqueries et l’auditeur attentif en redécouvre avec délices toute la richesse, largement annonciatrice des grandes pages de la maturité de Mozart ! Comme les yeux peinent à trouver leur compte, les oreilles se délectent…
La distribution de l’enlèvement au sérail est un véritable défi : deux sopranos colorature, deux vaillants ténors et une basse bouffe, voilà qui n’est pas si facile à réunir. Celle de Liège, bien équilibrée, compte quelques atouts de taille : du côté des occidentaux, la Constanze de Maria Grazia Schiavo se distingue par sa grande facilité vocale, en particulier dans l’aigu, avec un timbre pointu, légèrement acide, manquant peut-être un peu de rondeur et de corps pour une partition plus germanique que latine. Il reste que ses vocalises sont magnifiquement menées et qu’elle livre des redoutables arias du rôle une version pleine de panache. Elizabeth Bailey (Blondchen) vocalise très bien elle aussi, et sa voix, plus légère que celle de sa camarade, correspond parfaitement au rôle insolent et rebelle — parfois surjoué — qui lui est confié.
La voix de Wesley Rogers, qui chante Belmonte, possède un timbre magnifique, très riche, bien homogène. Chez lui, c’est plutôt la technique de soutien qui semble un peu fragile, conduisant à quelques faiblesses au dernier acte, lorsque la fatigue s’accumule. Moins spectaculaire mais tout à fait satisfaisant néanmoins, le Pedrillo de Jeff Martin lui donne efficacement la réplique. Dans le camp turc, on reste ébahi par les profondeurs et le timbre caverneux de la voix de Franz Hawlata (Osmin), mais le personnage n’est guère effrayant, et les effets comiques ou grotesques tout à fait insuffisants pour donner une réelle consistance scénique au rôle. On trouve plus d’intensité chez Markus Merz qui tient à la perfection le rôle parlé du Pacha Selim.