La Forza del Destino est de retour après 29 ans d’absence au Sferisterio (1969 et 1981) dans le cadre de la thématique « À la plus grande gloire de Dieu » (voir le compte rendu du concert Vespro della Beata Vergine). Mais, après la pluie de la veille qui a conduit à l’annulation du Faust de Gounod, le destin – et la puissance divine – se sont encore – mal – manifestés par la défection pour cause de laryngite de Marco di Felice (Don Carlo). Roberto Maria Pizutto l’a remplacé sur scène, tandis que, dans la fosse, Elia Fabbian défendait vaillamment la partie vocale du rôle qu’il reprenait au pied levé : grâce à lui, la soirée a été sauvée ; mais il n’en reste pas moins que l’absence d’un des protagonistes principaux, quel que soit le talent de ses partenaires et de l’acteur qui mimait le personnage, n’a pu que déséquilibrer la représentation.
D’autant qu’un autre personnage difficile, Preziosilla, était trop lourd pour Anna Maria Chiuri. Pour une fois, pourtant, une belle chanteuse, pas du tout vulgaire et plutôt bonne actrice, semblait avoir tout pour emporter l’adhésion – ne serait-ce la voix. Difficultés de projection, manque de puissance aux bons endroits, difficultés aussi bien dans le médium, dans les graves que dans les extrêmes aigus, le Rantanplan final lui a été fatal – comme à nombre de ses consœurs – quand les approximations jusque là admissibles se sont transformées en défauts de justesse par trop perceptibles. Ce qui tendrait une fois de plus à prouver qu’une cantatrice qui serait une bonne Meg Page n’est pas forcément en mesure d’endosser les grands rôles de mezzo verdienne. Mais il faut dire aussi que l’on a souvent entendu dans ce rôle quasiment impossible, bien pire que Madame Chiuri…
Le reste de la distribution était d’un excellent niveau, avec le Padre Guardiano de Roberto Scandiuzzi (qui, malgré ce qui peut ressembler à une très légère fatigue vocale espérons-le passagère, reste irremplaçable dans ce type de rôle), le Frà Melitone de Paolo Pecchioli (qui mêle une voix parfaitement adaptée au rôle à un jeu scénique efficace), et le Maître Trabucco du jeune chanteur brésilien Paulo Paolillo, certainement une des nouvelles voix à suivre.
Restent les deux protagonistes principaux. La jeune soprano Teresa Romano (Leonore) a une voix puissante et colorée, qui ne paraît toutefois pas idéalement adaptée au rôle : le début notamment, avec ses éclats criés, a pu faire craindre le pire. Mais, au fil de la représentation, la cantatrice a mieux trouvé sa place dans un chant plus nuancé, qui dégage sa plus belle expression à la fin du 2e acte, dans le « Pace, pace mio Dio »du 4e acte, et dans la scène finale. Son jeu, fort sobre, est bien adapté à la mise en scène de Pizzi, sans pour autant convaincre ni entraîner un intérêt majeur pour le personnage. Le ténor serbe Zoran Todorovich (Don Alvaro), de son côté, n’a pas la voix la mieux adaptée à celle de la soprano, surtout au début lorsqu’elle a du mal à maîtriser son instrument vocal. Mais il est beaucoup plus égal tout au long de la représentation, montrant un solide métier, tout particulièrement lorsqu’il doit chanter avec un figurant sur scène et un partenaire vocal dans la fosse. La voix est sûre, musicale et bien adaptée au rôle, même si là encore la personnification du personnage tient plus aux conventions du théâtre qu’à la construction idéale d’un rôle.
Pier Luigi Pizzi a réalisé une mise en scène épurée au maximum, et qui, à défaut d’originalité, occupe bien tout l’espace devant le mur du Sferisterio. Une grande croix, légèrement inclinée, domine la scène séparée en trois espaces. Au centre, un podium de quatre marches monté sur tournette, et, de chaque côté, deux grands espaces marqués chacun au sol d’une croix où les moines viendront s’aligner. Aucun élément vertical de décor, ce qui n’est pas gênant esthétiquement, si l’on ne percevait à plusieurs reprises une espèce d’écho inhabituel. Globalement, la mise en scène est efficace et respectueuse à la fois de l’action et de la musique : nous dirions qu’elle est totalement classique et « Pizienne », avec les costumes essentiellement en noir, blanc et grège, et les éclairages comme toujours remarquables de Sergio Rossi. On remarque toutefois quelques moments de l’action où les acteurs semblent avoir été laissés à eux-mêmes, sans directives, mais cela peut être lié à une première représentation et à l’absence d’un protagoniste. Surtout, on relève à plusieurs reprises des problèmes d’ensemble entre les deux groupes de choristes placés aux deux extrémités opposées de la scène, problème qui se renouvelle avec la grande ligne des choristes placés sur le devant de toute la longueur de la scène, dans l’acte III.
La direction de Daniele Callegari (qui avait dirigé l’an dernier en ce même endroit une excellente Madama Butterfly) est en tous points parfaitement verdienne, bel exemple d’équilibre et de goût donnant à l’ensemble l’éclairage tragique nécessaire. Tout au plus aurait-il pu s’autoriser un ou deux ralentis qui auraient aidé les chanteurs en presque difficulté.
Au total, une représentation déséquilibrée par plusieurs facteurs concomitants, qui ont fait que cette véritable première représentation du festival n’a pas été saluée par le public à la fin comme elle aurait pu le mériter en d’autres circonstances.