Entendue en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées en juin 2011, La Finta Giardiniera n’en est pas moins un des opéras de Mozart qu’on a sans doute le moins vus à Paris. Il était donc judicieux d’en proposer enfin une version scénique, et la modestie des moyens mis en œuvre n’était pas forcément un obstacle au succès. De fait, Stephen Taylor a su tirer son épingle du jeu, là où bien d’autres se sont cassé le nez : comment rendre acceptable pour le public d’aujourd’hui un livret un peu tiré par les cheveux, qui n’a que partiellement inspiré Mozart ? En entendant tout le début du premier acte, on se dit que le jeune Wolfgang n’avait rien d’un compositeur très prometteur ; heureusement, tout change juste avant le finale, avec l’air « Geme la tortorella », confié à l’héroïne, où se laisse discerner un peu du génie qui allait s’épanouir quelques années plus tard. Le deuxième acte est de bien plus haute tenue, avec l’air insensé du comte Belfiore, « Ah non partire », et un finale éblouissant, partagé entre le long lamento de Sandrina, « Crudeli, oh Dio ! fermate » et un ensemble où tous les personnages semblent pris de folie. Après ces sommets, le troisième acte, très bref, redescend nécessairement, avec néanmoins un fort beau duo entre les deux protagonistes. L’orchestre Ostinato livre une lecture attentive de la partition (avec un cor peut-être un peu trop sonore, néanmoins), sous la baguette d’Iñaki Encina Oyón succédant pour les deux dernières représentations à l’excellent Guillaume Tourniaire.
Après avoir montré le comte poignardan la marquise pendant l’ouverture, la mise en scène situe d’abord l’action dans un cadre réaliste, où la multiplication des accessoires et des éléments de décor (serre, cactus, poireaux, laitues, rangée de fraisiers, ustensiles de jardinage, tables, chaises) permet d’occuper les différents personnages présents en scène. Les costumes, eux, projettent l’action quelques décennies en avant, plutôt au tout début du XIXe siècle qu’en 1775, et ces tenues évoquent l’univers de Jane Austen, pour un roman qui s’appellerait ici Déraison et sentiments. Avec le basculement dans la folie de presque tous les participants du dramma giocoso, les meubles et accessoires superflus sont peu à peu éliminés, le décor est retourné, et les murs du jardin du Podestat se transforment en parois hérissées de ronces où la malheureuse Sandrina est enfermée à la fin du deuxième acte. Pris de démence, Belfiore y traîne un lit digne d’un hôpital psychiatrique, et on finit par lui passer une camisole de force. Quand les héros reviennent à la raison, les murs s’écartent et les fleurs reparaissent. Le symbolisme est des plus simples, mais il est limpide.
Et il fonctionne d’autant mieux que la distribution – il y en avait deux en alternance, exclusivement composées de membres de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris – est quasiment irréprochable, dominée par l’excellente Andreea Soare. On avait déjà eu l’occasion à plusieurs reprises d’admirer les immenses qualités de cette soprano roumaine, mais dans un tout autre répertoire ; or il s’avère que Mozart lui convient aussi bien que Massenet. Son italien est naturel et constamment intelligible, l’actrice est touchante, et la voix sonne magnifiquement. A ses côtés, Cyrille Dubois fait très bonne impression en Belfiore : la mise en scène souligne les traits ridicules du personnage, mais la voix montre qu’il a l’étoffe d’un ténor noble, où seul le grave gagnerait encore à être étoffé. L’autre rôle de ténor, le Podestat, est assuré pour les quatre représentations par Kévin Amiel, seule exception à la règle de l’alternance ; on ne peut plus différent de son confrère, par le timbre comme par le physique, il livre une composition comique du plus bel effet. En Nardo, Florian Sempey déploie, ainsi que la partition l’y invite, des talents comiques déjà manifestés dans d’autres prestations ; la voix s’épanouit surtout dans l’aigu, et l’on imagine qu’il fera un réjouissant Figaro dans ce Barbier qu’il chantera l’an prochain à Saint-Etienne. Chez les dames, Zoe Nicolaidou échappe au stéréotype de la soubrette au soprano acide grâce à un timbre charnu, mais sa diction pourrait être plus claire. Souvent caricaturale dans son jeu – sans doute le metteur en scène l’a-t-il voulu ainsi –, Ilona Krzywicka ne l’est nullement dans son chant, et son Arminda a vocalement la dignité des héroïnes que Mozart semble s’être amusé à parodier. Tant admirée dans un répertoire plus moderne, Marianne Crebassa semble ici plus bridée, et l’on ne retrouve pas la maestria avec laquelle elle exploite son timbre sombre dans la musique du XIXe ou du XXe siècle, mais la voix est belle et le travesti de Ramiro lui convient à ravir. Puissent toutes les promotions de l’Atelier Lyrique être aussi riches en talents confirmés !