La semaine Strauss de la Deutsche Oper Berlin devait s’achever en apothéose par un Rosenkavalier serti de la maréchale d’Anja Harteros dans la production de Götz Friedrich (lire la critique de Thierry Bonal en 2014). Toujours souffrante depuis ses annulations munichoises (Amelia dans Ballo in maschera), elle a renoncé trois jours avant pour être remplacée par Michaela Kaune. Souhaitons que Paris puisse les entendre toutes les deux comme prévu, aux cotés de l’Octavion de Daniela Sindram, elle aussi sur scène ce soir-là à Berlin. Mais à ce regret initial s’ajoute l’amertume d’une soirée qui se délite progressivement.
L’orchestre et la direction d’Ulf Schirmer tiennent une grande part de responsabilité dans ce decrescendo. Le premier acte pourtant laissait présager d’une soirée de qualité, sans trop de couleurs mais dans un son plein et chaud. Le solo de violon final et les longs accords à l’orchestre ont toute la douceur requise pour suspendre le temps autour de cette maréchale qui s’abandonne. Le retour de l’entracte malheureusement marque le point de départ du déclin. La fatigue, bien légitime après quatre soirées d’opéras de plus en plus longues, a pour effet de multiplier les pains et parfois même les décalages. Le chef n’en peut mais sa battue solide et dynamique se grippe, l’orchestre embrouille son discours et joue bien trop fort la plupart du temps au point de couvrir des chanteurs dont le volume ou la projection ne sont pas en cause.
Force et puissance wagnérienne ne font ni un bon Ochs, ni un Faninal mémorable. Dans le rôle du rustre baron, Albert Pesendorfer est bien trop monochrome pour rendre ou risible ou sympathique son personnage, quand il n’est pas fâché avec le tempo. Défaut que partage son hypothétique beau-père, Michael Kupfer-Radecky (remplaçant de dernière minute en Sachs pour l’ultime Meistersinger à Bastille le 25 mars), qui malgré des yeux rivés sur le chef bouscule son chant. La voix est belle et facile mais la conception du personnage, tout en rage et cris, laisse perplexe. Sophie, en revanche, retrouve la délicatesse, la candeur et le tempérament qu’il lui faut dans le chant de Siobhan Stagg. La soprano se rit des notes filées et demi-teintes et maintient l’intégrité d’un timbre élégant tout du long. Son jeune chevalier, Daniela Sindram, ne possède pas le même moelleux mais compense par une belle hardiesse. Regret encore que ce soit sa Mariandel que l’on retienne tant elle la croque avec une verve et une rusticité jouissive. Toilettes de femme d’âge mûre qu’elle porte avec classe, port de tête et élégance naturelle, Michaela Kaune habite une Marie-Thérèse toujours digne, parfois roide. Cette présence scénique depasse les limites vocales de la chanteuse, non que le rôle ne corresponde à sa voix, mais plutôt que les moirures du timbre sont chiches et que l’on peine à frissonner aux plaintes discrètes de cette femme qui refuse l’amertume et souffre presque silencieuse de son angoisse existentielle. Beaucoup de satisfaction dans la myriade de petits rôles et notamment pour l’Annina de Stephanie Lauricella, prête pour des emplois de mezzo plus conséquents. Seule vraie déconvenue : le chanteur italien de Matthew Newlin, caricature du pastiche straussien, tout en portando et notes émises en force.
Si, comme l’écrivait Thierry Bonnal en 2014, la production de Götz Friedrich n’a pas pris de ride, c’est peut-être parce qu’elle est botoxée depuis sa création. Certes les décors et les costumes m’as-tu-vu flamboient mais tout cet imbroglio pourrait tout aussi bien se dérouler dans des penthouses cossus de l’Upper East Side plutôt qu’à proximité du Prater. La direction d’acteur dans les scènes de groupes, d’excellente facture, n’apportera pas d’éclairages nouveaux sur les personnages principaux dans leurs moments d’intimité.