Le malheur des uns fait parfois le bonheur des autres. Annoncée souffrante le jour du concert, Julie Fuchs a dû renoncer à se produire avec le National lors de ce concert de musique française à Radio France (nous lui souhaitons un prompt rétablissement). Las, on n’entendra pas ces rares pages que sont l’Ode à la musique de Chabrier et La Nuit de Saint-Saëns. On se console en découvrant les deux heureuses élues appelées à la rescousse de la soirée.
La première, c’est Silvia Careddu, flûtiste solo de l’Orchestre national de France. Elle livre un Syrinx dessiné au pinceau fin, où rien ne semble venir briser l’élégante ligne mélodique que déroule lentement la pièce. Le couplage avec le Prélude à l’après-midi d’un faune est bienvenu, et lui permet de confirmer ces qualités à l’orchestre.
On doit au volontarisme de Virginie Verrez le sauvetage du reste du programme. En plus de l’air de Dalila, elle s’est fendue de la partie de soprano dans la Damoiselle élue de Debussy, qui incombait en principe à sa collègue souffrante. On sera donc indulgent face à un texte parfois approximatif dans Saint-Saëns, et à des gestes techniques qui viennent parasiter la présence scénique. On retient plus volontiers son véritable timbre de mezzo, chaleureux et rond dans le grave, brillant dans l’aigu, qui lui permettra certainement d’assumer le rôle de Dalila dans quelques années.
Avec ce son droit et pur qui lui est propre, la Maîtrise de Radio France rappelle que la Damoiselle est l’œuvre d’un Debussy médiévisant, qui ne se refuse ni parallélismes de quintes, ni mélopées pseudo-grégoriennes pour évoquer les amours mystiques de Rossetti.
La première partie donnait à entendre la 2e Symphonie de Dutilleux. Ecrite à la demande de Charles Munch et sous-titrée « Le double », elle est conçue comme un dialogue entre le grand orchestre, et un ensemble de chambre réuni autour du chef (Britten s’en souviendra pour son War Requiem créé quelques années plus tard). La musique est une sorte d’équilibre formel magique, où la recherche de couleurs et de timbres ne se fait pas aux dépens de l’architecture générale. Bertrand de Billy défend régulièrement cette musique encore boudée de certaines grandes institutions, et son interprétation ferme, précise, mais inspirée convainc pleinement l’auditeur. L’Orchestre National de France lui obéit au doigt et à l’œil, qu’il s’agisse des solos ciselés de l’ensemble (salut tout particulier à la clarinette solo) ou des passages plus symphoniques de l’œuvre.
Si l’on regrette encore de ne pas avoir entendu de Chabrier ce soir-là, on salue un programme qui, aux côtés de chevaux de bataille du répertoire, a su présenter des partitions que l’on espère voir programmées plus souvent.