Il n’y a pas que l’opéra dans le parcours de Cyrille Dubois. Celui que nos lecteurs ont désigné « étoile montante » de l’année 2017 aime en compagnie de Tristan Raes sous le nom de « Duo contraste » explorer le répertoire mélodique de tous les temps dans toutes les langues. Les campagnes napoléoniennes, en écho à l’exposition Napoléon stratège au Musée de l’Armée, deviennent alors prétexte à expédition musicale, tout comme il y a quelques années la Grande Guerre donnait lieu à l’enregistrement pour le label Hortus de mélodies de Ropartz, Jacques de la Presle, Georges Migot et Pierre Vellones.
C’est avec la même rage, le même investissement dramatique comme s’ils racontaient à chaque fois une nouvelle histoire, avec la même musicalité et la même attention portée au texte que le tandem s’attache au vol de l’aigle impérial, de conquêtes en défaites. Le pays et l’année de naissance des compositeurs, contemporains de Napoléon, autant que les poèmes chantés font office de critères de sélection : l’orientalisme de David pour l’Egypte, Beethoven, Schubert et Schumann pour la Prusse, Donizetti pour l’Italie, Glinka pour la Russie…
Fidèle à son habitude, Cyrille Dubois se jette dans la bataille avec une énergie électrisante. « Elégie » de Berlioz, abordée à la hussarde comme s’il s’agissait d’un air d’opéra, sert à prendre la mesure d’une acoustique très – trop – réverbérée. On pourrait craindre que le ténor ne dissipe ses forces dans ce premier assaut. Sa fraîcheur vocale à la fin du récital, après avoir enchainé sans temps mort une petite vingtaine de mélodie prouve la crainte infondée.
Tout évidemment n’est pas égal dans cette épopée fantasmée sans que l’interprétation ne soit forcément en cause. La confrontation abrupte d’univers contrastés, en même temps qu’elle justifie le nom du duo formé par Tristan Raes et Cyrille Dubois, laisse transparaître ce que Goethe appelait des affinités électives. Si Donizetti par exemple, avec ses vocalises haletantes, rappelle le rossinien qui ne se cache pas en Cyrille Dubois, bien que le ténor ait décidé de ne pas fréquenter exclusivement ce répertoire, l’héroïsme désespéré de Schumann et plus encore l’amertume des quelques pièces extraites du Winterreise semblent lui parler davantage. Les duretés de la langue allemande s’accordent mieux à la douceur du timbre. Contraste encore. L’exotisme de Glinka relève de l’anecdote quand David au contraire, dans « Le jour des morts » délaisse l’orient à la Hubert Robert que suggérait auparavant « L’Egyptienne » avec son boléro entêté, pour aborder ces rivages expressifs d’où l’on devine les blessures de l’âme.
Des deux interprètes, lequel est le plus éloquent ? L’interrogation peut sembler légitime tant Tristan Raes se donne avec la même passion au romantisme de ces pages souvent désespérées. Chaque note, frôlée, touchée, frappée, parle sans que le flux du discours, son épanchement narratif, n’en soit troublé. Complicité et plus encore communion. Là est le secret. Deux bis – « L’ile inconnue » et « Sérénade » – achèvent la bataille sans mettre un terme à la guerre. Cinq autres concerts sont encore prévus jusqu’au 18 juin dans le cadre de ce cycle « Musiques et paroles d’empereur ».