Pour son spectacle de rentrée, l’Opéra de Rennes propose une réjouissante rareté qui a déjà fait ses preuves sur de nombreuses scènes de l’hexagone, de Caen à l’Athénée en passant par Rouen, Compiègne, Hardelot ou encore Versailles.
La musique de Mattew Locke s’avère plaisante sans être inoubliable mais servie avec talent par l’Ensemble Correspondances qui travaille merveilleusement couleurs, nuances, reliefs. La phalange dirigée par Sébastien Daucé se prête à toutes les facéties, participant à l’action, se joignant au chœur à l’occasion et changeant même de place sur scène à cinq ou six reprises – tout en continuant à jouer !
© Alban Van Wassenhove
L’argument est diablement séduisant, nourrit d’une bonne dose de « wit » britannique : Cupidon et la Mort font halte dans la même auberge. Leurs flèches sont échangées par le majordome, incarné par le remarquable Nicholas Merryweather que l’on aimerait plus entendre chanter. Désormais les victimes d’Amour ne s’en relèvent plus, tandis que la Mort entraîne des vieillards, des guerriers et montreurs de singes dans des parades amoureuses contre nature.
Nature, précisément, est effondrée de cette inversion des valeurs et c’est finalement Mercure qui obtient le retour de chacun à ses fonctions en remettant la bonne flèche dans le bon carquois. Les deux personnages éponymes ne prennent pas la parole directement, Folie, Démence et Désespoir s’en chargent pour eux.
Soufiane Guerraoui campe un Monsieur Loyal dégingandé qui nous initie aux arcanes du Mask anglais avec un aplomb sans faille et une formidable liberté physique. Qu’il braille les didascalies dans son porte-voix, se chamaille avec la répétitrice d’anglais ou se grime en singe… il est parfait !
Fiamma Bennett lui donne la réplique avec talent, hilarante elle aussi, lorsqu’elle incarne le Désespoir aspirant au suicide mais se consolant d’une bouteille de vin.
© Alban Van Wassenhove
Le plateau vocal, d’excellente tenue, dégage une énergie joyeuse et un abattage scénique épatant mais n’a pas tant d’occasions de briller de manière individuelle. Mention particulière néanmoins pour la magnifique Lucile Richardot dont l’alto sensuel et plein fait merveille en Dame Nature.
Perrine Devilliers, Antonin Rondepierre ainsi que Lieselot de Wilde et son chewing gum collé derriere l’oreille sont au diapason.
Yannis François accuse malheureusement la fatigue en fin de soirée avec des aigus qui cassent mais prête à Mercure la belle prestance, le timbre chaud qui avaient déjà séduits le public de l’ouest dans le Malade Imaginaire à Nantes ou encore dans la Dame Blanche en tournée avec la co[opéra]tive.
Les qualités scéniques exemplaires des interprètes s’avèrent indispensables car, comme dans le concept du jeu « transparent », ils sont ici présents sur scène en tant qu’eux-mêmes tout en incarnant différents personnages. Le décor d’Oria Puppo rend ce choix palpable. Il est composé de container, de boites en bois et de grands plastiques, sans cesse déplacés et réagencés ; autant d’éléments qui protègent habituellement la scénographie au lieu de la constituer.
Cette esthétique de tréteaux, carnavalesque, pleine de fantaisie, de liberté, infuse également le kaléidoscope de costumes – qui habille également tout l’orchestre – et régale par son unité fantasque.
Jeu de projection, d’ombres chinoises, clins d’œil picturaux aux scènes de genre hollandaises ou à Botticelli, masques et accessoires de carton ou de polystyrène, pancartes pour commenter l’action ou biaiser la traduction du texte… Jos Houben et Emily Wilson ne manquent pas de créativité pour servir la brillante dramaturgie de Katherina Lindekens. Ils rendent accessible et rieuse cette pochade pleine d’esprit vieille de près de quatre cent ans.
Un spectacle-friandise à déguster encore à Quimper, Dinan, Besançon, Schwetzingen et Herblay.