Pour ce premier concert à l’Opéra-Bastille, Philippe Jordan nous offre un programme d’extraits essentiellement symphoniques de la Tétralogie qui nous laisse un peu sur notre faim. A quel public ce programme est-il destiné ? Un public non connaisseur avait de quoi être dérouté par l’enchaînement du prélude, des interludes et de la conclusion de Das Rheingold , ou encore par l’Immolation de Brünnhilde chantée sans surtitrage. Les amateurs au contraire auront du mal à apprécier de simples extraits : la diffusion de l’œuvre de Richard Wagner n’est plus confidentielle au point que l’on doive aujourd’hui s’en contenter faute de mieux. Si la Chevauchée ou la Marche funèbre sont plus facilement accessibles au grand public, un wagnérien y attendra quelque chose de nouveau dans l’interprétation. Celle que nous propose Jordan est on ne peut plus classique : une lecture ample, avec un beau son « français » compact, à l’opposé de lectures plus analytiques (comme celle de Kirill Petrenko quelques jours auparavant). Cette approche est bien servie par l’orchestre de l’Opéra de Paris, à l’exception des cors, parfois approximatifs en première partie. L’acoustique capricieuse de Bastille ne le sert pas non plus : les cordes sont trop discrètes, les percussions et les cuivres trop présents. En coulisses, L’appel du cor de Siegfried est inaudible. On ne retrouve pas non plus de tension dramatique dans cette interprétation, alors qu’il n’y a pas plus volontairement « signifiante » que la musique de Wagner. Au total, on a le sentiment d’une espèce de promenade un peu extérieure dans l’univers de la Tétralogie.
Anja Kampe est une autre victime de l’acoustique. Alors que l’orchestre est révérbéré grâce à une coque en bois, le pauvre soprano est placé en avant du proscenium, sans surfaces proches pour projeter sa voix (dans une certaine mesure, il en va de même des cordes) et celle-ci perd également de ses harmoniques graves dans l’immense vaisseau. Estimable artiste et wagnérienne authentique, Kampe doit forcer ses moyens pour se faire entendre par dessus un orchestre tonitruant. Par ailleurs, nous entendons davantage une Sieglinde qu’une Brünnhilde, rôle plus ample, qui réclame une voix plus large et un aigu triomphant.