Venir à Verbier a sans aucun doute un arrière-goût de vacances avec son ciel bleu et ses montagnes. On prend son temps, le regard tourné vers les cimes ; et puis on se rappelle qu’un concert ne s’entend qu’au prix d’une ascension : c’est un effort semble-t-il qui est dû à la musique.
D’emblée, ce festival anniversaire s’ouvre sur une note d’émotion ; après vingt-cinq années d’existence vient en effet le temps des souvenirs : le fondateur Martin Engstroem retrace le chemin parcouru, les habitués se retrouvent, et les jeunes talents d’hier sont devenus les grands solistes d’aujourd’hui. Il apparaît à Verbier une forme de familiarité entre la musique, ceux qui la font et ceux qui l’écoutent ; une proximité, une simplicité.
Après un quart de siècle vient aussi le temps des projets, incarnés par Valery Gergiev qui assure à présent la direction musicale du Verbier Festival Orchestra. A défaut de simplicité, on peut sans aucun doute parler de sobriété concernant ce concert d’ouverture ; mais la sobriété dans ce qu’elle a de meilleur : une précision, une profondeur sans ostentation, un jeu vrai dépouillé des ornements de la virtuosité. Chef charismatique s’il en est, Valery Gergiev semble transmettre le moindre de ses désirs à l’orchestre.
Le Diptyque symphonique de Rodion Shchedrin commence certes dans une retenue qui capte difficilement l’attention de l’auditeur, mais se poursuit avec éclat et engagement, ce qui laisse présager du meilleur pour la suite. Le jeune violoniste Daniel Lozakovich vient alors interpréter le célèbre Introduction et Rondo capriccioso en la mineur de Saint-Saëns où il se révèle d’une finesse remarquable : le son est pur, clair, redonnant à l’œuvre toute sa légèreté et ses contrastes. A sa suite, George Li nous livre un concerto n°1 pour piano de Mendelssohn d’une grande épure. Echappant à une virtuosité pesante, se débarrassant de toute gestuelle grandiloquente, son jeu net et phrasé (servi par un Steinway au son splendide !) restitue toute l’émotion contenue dans la partition. On pourrait regretter que l’orchestre soit un peu en retrait dans cette pièce, même s’il est heureusement tout à l’écoute du soliste ; sobriété à tous les niveaux donc, avec un son presque chambriste dans les deux premiers mouvements qui n’est pas déplaisant.
La soprano Pretty Yende fait alors son apparition pour un très attendu « Glitter and be gay », air de bravoure pour soprano colorature tiré du Candide de Bernstein. On attend chez Cunégonde de l’humour, de la folie, et une technique à toute épreuve : on espère voir la chanteuse défier les lois de l’aigu à défaut de celles de la gravité. L’air commence au mieux : le timbre est rond sans perdre son centre, le vibrato est large sans être incommodant, le bas-medium est sonore. On regrette toutefois un personnage bien sage. Mais très vite, la voix vacille ; aigus serrés, justesse approximative, décalages avec l’orchestre, notes escamotées… On connaît assez le talent de Pretty Yende pour se dire qu’elle n’était simplement pas en forme ce soir-là, et le lyricomane voit sa soirée quelque peu frustrée sur le plan vocal. C’est dommage car l’orchestre offrait une belle matière sonore toute en fluidité, comme des vagues aux cordes, avec un son des plus américains. La soprano semble elle-même déçue de sa prestation et ne profite pas des applaudissements du public.
Heureusement Valery Gergiev dirige une Shéhérazade de Rimski-Korsakov somptueuse. Cette œuvre, qui offre de très nombreux solos à l’orchestre, permet de mettre en valeur le talent des musiciens du Verbier Festival Orchestra, premier violon en tête, très justement acclamé par le public. De montrer aussi un chef polyvalent, qui dirige en un même concert des compositeurs d’époques et de pays différents en trouvant, à chaque fois, une couleur qui leur est propre.
Une soirée décevante donc concernant la voix ; mais avec un tel orchestre et un tel chef, il ne fait aucun doute qu’à Verbier la musique se joue à des sommets.