A dix-huit heures en ce début de mois de juillet, le soleil cogne encore à Orange. Dans la Cour Saint-Louis, où a lieu le concert des Révélations Classiques de l’Adami, une place à l’ombre reste un privilège. La chaleur étouffante ne saurait cependant altérer l’impression de fraicheur qui émane des huit jeunes artistes réunis pour l’occasion, et plus particulièrement des quatre chanteurs vers lesquels nos oreilles lyricophages nous portent davantage. Fraicheur, presque innocence, de voix à l’aube d’une carrière qu’on leur souhaite glorieuse et à la croisée de chemins qu’il leur faut dès à présent choisir. Comment faire la part de leurs ambitions, de leur inclination pour tel ou tel répertoire, de leurs affinités vocales, des conseils prodigués par leurs professeurs, des tentations auxquelles les soumettent sans doute leurs agents ? C’est cette hésitation que l’on perçoit à travers un programme où chacun offre beaucoup de lui-même avec la générosité qui est une autre caractéristique de leur jeunesse.
Ces questions qu’ils ne doivent pas manquer de se poser, nous nous les posons aussi en les écoutant délivrer à un public enthousiaste des extraits d’opéras non exempts d’incertitudes mais néanmoins chargés de promesses. Rossini par exemple est-il le compositeur le mieux adapté au baryton clair d’Anas Seguin, cueilli à froid par l’air du Barbier de Séville, suffisamment maître de son instrument cependant pour contourner les difficultés de l’écriture et suffisamment dégourdi pour faire du numéro un succès ? Le duo avec Rosine confirme notre interrogation. L’imagination et la musicalité ne devraient-elles pas être moins exposées, quand l’air de Mercutio, articulé et coloré, invite à préférer le répertoire français.
Il n’est pas certain non plus que Rossini soit le premier compositeur recommandé à Catherine Trottmann. Son mezzo-soprano duveteux devrait d’abord s’épanouir chez Mozart, peut-être pas encore Sesto, initialement prévu au programme, mais assurément Zerline dans Don Giovanni, Cherubino ou Ramiro de La finta giardiniera… Autant de rôles utiles pour consolider une technique déjà assurée et préparer cet Oktavian (Der Rosenkavalier) dans lequel on aimerait l’applaudir un jour encore lointain…
Rossini, en revanche, pourrait offrir à Enguerrand de Hys un vaste champ d’application si tant est que la voix soit assez agile pour négocier les innombrables roulades dont le compositeur du Comte Ory a parsemé ses partitions. Le ténor pour l’instant se présente sous son meilleur jour dans l’opéra-comique français : l’air d’Azor qu’il trace d’un trait que la clarté de la diction rend encore plus précis. Et l’on se prend à rêver de Postillon de Longjumeau, de Dame Blanche, dans laquelle son émission haute et sa prononciation exemplaire devraient faire des miracles. Et pourquoi pas Rameau ?
Armelle Khourdoïan, enfin, habille de sens les vocalises de Donna Anna et fait preuve de tempérament, à défaut d’une technique irréprochable, dans « je t’aime » d’Isabelle Aboulker, sous-titré par la compositrice « vocalises amoureuses pour soprano éperdue ». Quant au vibratello prononcé, c’est, parait-il, chez les jeunes voix, signe de santé vocale. De quoi envisager avec sérénité la suite d’un parcours dont une des dernières étapes fut le Feu, la Princesse et le Rossignol dans L’Enfant et les sortilèges à La Scala de Milan.
Le final de La Chauve-Souris offert en bis conclut le concert par un toast, bienvenu en cet après-midi estival où nous cherchions une place à l’ombre tandis que ces quatre jeunes artistes talentueux s’emploient à trouver la leur au soleil.