Foi de « lyricomane », on a rarement vu cela : une véritable déclaration d’amour (le mot n’est pas trop fort) du public et des musiciens à un chef d’orchestre, en l’occurrence Philipe Jordan le directeur musical de l’Opéra de Paris depuis 2009. Dans un Opéra Bastille bondé, une longue et impressionnante standing ovation a rendu hommage au jeune chef qui a conduit l’Orchestre de l’Opéra à un niveau d’excellence peu souvent égalé. On n’est pas près d’oublier le « Merci Philippe » lancés par des spectateurs.
Pour dire au revoir à son public Jordan a conçu un programme d’une spiritualité profonde qui lie la Faust-Symphonie de Liszt au Parsifal de Richard Wagner, deux œuvres qui exaltent le pouvoir rédempteur de l’amour. Cette Symphonie avec chœurs, en trois mouvements (Faust, Marguerite et Méphistophélès) est rarement programmée et il faut le souffle puissant que lui insuffle ici le chef pour lui rendre justice. Le premier mouvement, où l’auditeur peut facilement s’égarer dans une succession de questionnements et d’élans passionnés d’un Faust tourmenté, exige une tension qui ne doit jamais faiblir. Le deuxième mouvement en forme d’églogue, où les bois et les cuivres (superbes musiciens) sont très sollicités, est un moment d’une grande émotion. Philippe Jordan y est sublime. On connaît son talent à faire sonner un immense orchestre comme un ensemble de chambre. Dans les premières mesures du dernier mouvement Liszt semble rendre hommage à Berlioz qui lui avait fait connaître l’œuvre de Goethe et l’orchestre s’en donne à cœur joie avant l’ensemble vocal final remarquablement interprété par le chœur d’hommes de l’Opéra ( préparé par Ching-Lien Wu).
© Elisa Haberer
La deuxième partie de la soirée est consacrée au troisième acte de Parsifal de Richard Wagner. Philippe Jordan ne pouvait pas partir sans diriger du Wagner, l’un de ses compositeurs favoris. Pour l’occasion il a choisi des interprètes d’exception. Une distribution du plus haut niveau. René Pape est sûrement l’un des plus grands interprètes de Gurnemanz : une diction et un phrasé remarquable et quel timbre ! Il est passionnant tout au long de son monologue. Andreas Schager incarne parfaitement Parsifal, le « reine tor » (l’innocent au cœur pur) de Wagner, avec une voix claire au registre aigu rayonnant et une déclamation qui rappelle parfois celle de Wolfgang Windgassen. Enfin Peter Mattei est bouleversant dans l’Amfortas vieillissant et souffrant. La voix est superbe et l’interprétation d’une grande noblesse.
Sans mise en scène le public s’est pourtant senti au théâtre. Wieland Wagner avait compris avant tout le monde qu’il fallait aller à l’essentiel avec peu de moyens et c’est à ce Bayreuth-là que la soirée de ce 2 juillet nous a fait penser. Philippe Jordan sait accompagner les chanteurs sans jamais les couvrir et c’est un « Enchantement du Vendredi Saint » lumineux qu’il nous fait entendre.
Oui, comme le disaient les spectateurs : merci Philippe ! Même à Vienne son cœur restera à Paris : il nous l’a dit.