Dernier volet du Cycle Shakespeare proposé par Daniele Gatti en marge des représentations du Macbeth de Verdi, ce concert s’articule en trois parties : en guise de hors-d’œuvre, l’ouverture de Béatrice et Bénedict dont le chef se plait à souligner l’aspect clinquant de l’allegro initial pour mieux mettre en valeur la poésie de l’andante qui lui succède. Une battue en somme théâtralisée qui donne à cette page des allures de musique de scène.
Suivent les quatre derniers Lieder de Richard Strauss dont on cherche encore le lien avec le dramaturge anglais, mais qui à eux seuls ont attiré la foule des grands soirs au Théâtre des Champs-Élysées puisqu’ils constituent l’unique apparition de la saison sur une scène parisienne d’Anna Netrebko. La soprano avait chanté pour la première fois ce cycle ô combien fameux en août 2014 à Berlin, sous la direction de Daniel Baremboim et sa maison de disques s’était empressée de poser ses micros dans la salle, afin d’en publier au plus vite l’enregistrement, sans laisser le temps à la cantatrice de mûrir son interprétation. De fait, le résultat n’avait pas convaincu notre confrère Julien Marion qui avait intitulé son article « A côté de la plaque ». Cette nouvelle prestation, perçue cette fois dans la salle, allait-elle se révéler plus concluante ?
Très élégante dans une somptueuse robe en mousseline jaune pâle bordée de strass, Anna Netrebko est accueillie par une longue ovation de la part du public. Elle aborde « Frühling » avec un registre grave somptueux puis la voix s’envole, opulente, vers les sommets. Las, Gatti fait alors sonner son orchestre avec un tel déferlement de décibels que la soprano est contrainte de chanter constamment forte sans pouvoir tenter la moindre nuance. Tout au long de ce lied et même du suivant, Netrebko et Gatti donnent l’impression de faire leur « job » chacun de son côté sans qu’aucune connivence, aucune complicité ne les unissent. Cela est-il dû à un manque de répétitions ? Résultat, la cantatrice a beau faire de louables efforts de prononciation, elle ne parvient guère à émouvoir. Fort heureusement, dès les premières mesures de « Beim Schlafengehen », le chef rectifie le tir et laisse la voix de son interprète s’épanouir librement. Alors, on est soudain subjugué par les sortilèges de ce timbre somptueux, par sa capacité à varier les coloris et la dynamique comme en témoigne la phrase « Und die Seele unbewacht » chantée piano avec une délicatesse et une sensibilité troublantes. Le charme continue d’opérer avec un « Im abendrot » tout en demi-teintes où l’émotion transparaît derrière chaque syllabe, notamment au début de la dernière strophe sur les mots « O weiter, stiller Friede ! » et qui s’achève comme dans un dernier soupir laissant le public subjugué garder le silence quelques secondes après les dernières notes. Alors, à côté de la plaque, Anna ? Beaucoup moins qu’au disque sans doute mais pour se hisser au niveau des plus grandes interprètes de ces pages, il lui faudra encore travailler, de préférence avec un chef familier de ce répertoire.
La seconde partie du concert est consacrée à des extraits des deux premières suites pour orchestre de Roméo et Juliette de Prokofiev qui constituent à la fois le plat de résistance et le point culminant de cette soirée. Dès la première page, la plus célèbre, « Montaigus et Capulets » (suite n°2,1), et tout au long du programme, Daniele Gatti, en parfaite osmose avec son orchestre, livre une interprétation ébouriffante, avec une maîtrise absolue de la dynamique et un sens aigu du théâtre, sachant impressionner dans les passage de paroxysme comme la « Mort de Tybalt » (suite n°1, 7) ou émouvoir notamment dans l’adagio de « Roméo au tombeau » (suite n°2, 7) qui conclut magistralement le spectacle.